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ministre de Prusse à la cour de François II pour obtenir du général Ulloa le passeport sans lequel il ne pouvait quitter Gaëte ; il l’eut enfin, et un des bâtimens de l’escadre française le ramena au quartier-général de Garibaldi.

Quelques semaines plus tard, le 3 novembre, il rentrait en triomphateur dans cette ville de Capoue, qu’il avait naguère traversée en prisonnier de guerre.


« La même foule, dit-il, qui le 1er octobre voulait nous massacrer, mes camarades et moi, accourait maintenant au-devant de Garibaldi et de son état-major, et s’égosillait à crier : Vivent nos libérateurs ! Le barbier qui, pour m’égorger, m’avait mis la main sur le collet, ce barbier lui-même, en personne, figurait au premier rang de la foule accourue sur notre passage, et se montrait un des plus enthousiastes. Reconnu par quelques garibaldiens, le drôle reçut une leçon qui, je le suppose, l’aura rendu modéré pour le reste de ses jours. Je traversais la principale rue de Capoue, lorsque je vins à rencontrer le capitaine napolitain qui, pendant notre séjour dans la citadelle, avait été chargé de veiller sur nous. Depuis la capitulation, il était devenu, comme par miracle, le plus déterminé des patriotes italiens, lui que j’avais entendu, quelques semaines plus tôt, traiter Garibaldi de brigand et appliquer à Victor-Emmanuel des épithètes encore plus significatives. — Eh ! capitaine, lui dis-je, serrant la bride de mon cheval, je suis ravi de vous voir dans de meilleurs sentimens… Vous voilà donc en bon chemin pour venir à nous ?

« — De meilleurs sentimens ? reprit-il, pâlissant quelque peu… Je vous garantis bien qu’au fond du cœur, même alors, j’étais… Seulement voyez-vous…

« — Oui, interrompis-je, vous en étiez réduit à dissimuler votre patriotisme, tandis qu’à présent rien ne vous empêche de le laisser paraître… C’est bien cela, n’est-il pas vrai ?

« — Vous l’avez deviné, répondit-il,… et je compte que vous serez assez bon pour me recommander au général piémontais… Une commission de major ferait assez mon affaire.

« — Presque tous ressemblent à ce gaillard-là, dit un des officiers du général Della Rocca, auditeur involontaire de cette courte conversation.

« Par le fait, il ne se trompait guère. Le capitaine en question n’était que le type d’une classe longtemps avilie. »

Parlant ailleurs de la démoralisation profonde où le gouvernement des Bourbons avait plongé les hautes classes de la société napolitaine, le publiciste anglo-italien s’exprime en ces termes :

« Le niveau moral n’était guère beaucoup plus élevé chez le plus grand nombre des hommes appartenant au parti libéral. Dans ce parti lui-même, les individualités comme celles de Poerio, Settembrini, Massari, Spaventa, Pace, Nicotera, Piria, Stocco, Tommasi, et quelques autres, étaient plutôt l’exception que la règle. Je me rappelle qu’un jour, sous la lieutenance-