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battaient en retraite du côté de Capoue. Les cris de trahison retentissaient de toutes parts, mêlés d’invocations à la Madone. À Capoue, ce fut bien pis, et malgré la double file de soldats qui les escortait, les prisonniers garibaldiens faillirent être écharpés par une population frénétique de colère et de peur. À leur refus de crier : Vive François II ! des imprécations unanimes et des cris de mort répondirent. Un barbier entre autres, s’élançant du seuil de sa boutique et brandissant un grand rasoir dont il s’était armé, semblait voir à regret lui échapper ces victimes : — Capitano, dame ne uno ! criait-il d’une voix furieuse. Les femmes, les enfans faisaient pleuvoir les injures grossières avec les projectiles immondes, et les prisonniers ne se sentirent en sûreté que derrière les fossés de la citadelle. Ils y trouvèrent des officiers infiniment moins exaltés que la populace des rues, et dont quelques-uns se plaignaient même d’avoir été trompés par François II, « qui avait promis, disaient-ils, de les relever de leur serment d’allégeance. »

Ordre arriva, dès le lendemain, de transporter à Gaëte les garibaldiens pris à la bataille du Volturne. Malgré ses réclamations, M. Arrivabene, qui avait déjà trouvé l’occasion de revendiquer hautement ses immunités de correspondant d’un journal anglais, fut rangé dans la même catégorie et emmené comme les autres. Ils étaient au nombre de quatre-vingt-cinq, entassés sur six charrettes, et firent de nuit la plus grande partie du chemin. À Sant’-Agata, où l’on relaya le matin venu, les scènes de Capoue se renouvelèrent, et ils ne purent que le soir quitter en toute sécurité la caserne de gendarmerie où on les avait mis à l’abri des outrages de la populace ; mais à minuit, quand ils traversèrent le camp napolitain à la clarté des feux de bivac, ils purent se croire définitivement perdus. Les soldats, accourus sur leur passage, ne parlaient de rien moins que de les brûler vifs, ce qu’ils eussent fait sans la noble conduite du capitaine qui commandait l’escorte, et qui, par des charges réitérées à droite et à gauche, sut écarter d’eux cette soldatesque enragée.

Une fois dans Gaëte, où il arriva ce matin-là même à la pointe du jour, tout péril n’avait pas cessé pour le hardi correspondant des Daily News. L’entassement des prisonniers (trente dans deux chambres) et le régime de nourriture que permettait l’allocation royale (30 grani[1] par tête et par jour) constituaient déjà pour un blessé,

  1. Le grano napolitain est une monnaie pour ainsi dire infinitésimale. Il en faut dix pour faire un carlin, lequel est la vingt-quatrième partie du scudo (5 fr. 10 c). C’était donc 60 centimes à peu près qui étaient assignés pour la nourriture de chacun des officiers prisonniers. Pour les soldats, l’allocation était de cinq grani, c’est-à-dire de dix centimes. Aussi mouraient-ils littéralement de faim.