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la zone interdite aux forces navales du nouveau royaume[1].

Dans ce mouvement en arrière, si insignifiant qu’il fût, il y eut, n’en doutons pas, pour la susceptibilité de nos marins une sorte de déboire, rendu cependant moins amer par l’évidente supériorité des forces françaises ; mais nous ne voulons nullement insister sur ce point. Ce qui nous frappe, c’est la regrettable mobilité de projets qui jetait alors tant d’ambiguïté dans les tendances de notre politique et rendait si difficile à nos agens l’interprétation de la pensée qu’ils avaient à faire prévaloir. La France devant Gaëte n’était ni protectrice efficace de François II, ni sympathique à Victor-Emmanuel, ni même tout à fait neutre. Sans trop se soucier de la logique et transigeant tour à tour avec des nécessités qui semblaient s’exclure, elle arrêtait au passage les boulets de l’escadre italienne, elle laissait les canons Cavalli s’installer à loisir sur les hauteurs escarpées qui dominent Gaëte. Elle gênait, elle désappointait, elle irritait ses alliés de la veille, étonnés de la trouver comme un obstacle sur la route qu’elle-même leur avait ouverte. En aidant, de manière ou d’autre, François Il à prolonger une résistance dont, tout aussi bien que personne, il connaissait le terme fatal, nous ajoutions en pure perte des désastres à des désastres, des morts à des morts[2]. Quel motif si puissant avions-nous d’agir ainsi ? Désirions-nous seulement mettre en sûreté la personne, la famille de François II ? Voulions-nous

  1. Remarquons en passant que M. Arrivabene, bien que présent sur les lieux, n’a pas donné à ce singulier incident sa véritable physionomie. Il affirme (tome II, page 294) que « le commandant de l’escadre française, non-seulement refusa de reconnaître le blocus officiellement dénoncé par la Sardaigne, mais alla jusqu’à prévenir l’amiral Persano qu’il ouvrirait le feu contre la flotte sarde, si elle attaquait l’arrière-garde de l’armée napolitaine, alors en pleine retraite sur Mola di Gaeta. » Or premièrement ce n’était pas la Sardaigne, c’était le gouvernement dictatorial qui avait dénoncé le blocus, et la Sardaigne n’éleva jamais sur ce point des prétentions nettement définies ; elle y renonça même expressément, nous venons de le voir. En second lieu, les troupes napolitaines n’abandonnèrent la ligne du Garigliano qu’après que notre escadre eut quitté l’embouchure de cette rivière. Enfin l’ultimatum notifié à l’amiral Persano ne concernait que le cas où la division navale piémontaise franchirait la ligne au-delà de laquelle on entendait la retenir.
  2. Un détail navrant de cette lutte fratricide est la situation où se trouvèrent les sept ou huit mille soldats de François II qui, après la reddition de Capoue, au lieu de se retirer, comme le gros de l’armée du Volturne, dans la direction de Terracine, et de se faire désarmer par nos troupes sur le territoire pontifical, se laissèrent acculer entre les avant-postes piémontais et la place de Gaëte. La ville était encombrée, la garnison plus que suffisante, les approvisionnemens aménager strictement. Sommés de se rendre par le général Cialdini, qui menaçait, en cas de refus, de ne pas leur accorder quartier, ces malheureux se virent impitoyablement refuser l’accès de la ville assiégée, et sans vivres, sans bois, sans moyens de campement, à peine abrités par les maisons du faubourg, où ils détruisaient et brisaient les charpentes pour se procurer le combustible indispensable, ils demeurèrent abandonnés plusieurs jours, et ne rentrèrent dans Gaëte qu’après avoir longtemps subi sans se défendre le feu de l’artillerie piémontaise.