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peuples ne s’en accomplissent pas moins en dehors de ces plans, de ces projets, de ces volontés qui semblent disposer de tout.


II

Le grand malheur de cet antagonisme entre les vues du protecteur de l’Italie et les aspirations de ses protégés a été de nous ôter le bénéfice moral d’une guerre hardiment commencée, heureusement et rapidement menée à fin. L’oubli de notre victoire et de ses grands résultats fut aussi prompt que notre victoire elle-même. En quelques jours ces mêmes soldats que les belles dames de Milan écrasaient de fleurs et qu’elles faisaient monter à côté d’elles dans leurs brillans équipages devinrent des hôtes indifférens et presque dédaignés. La popularité passa du côté des touristes anglais, auxquels un mois plus tôt personne ne prenait garde. Ainsi que le constate notre écrivain, on ne parlait plus dans les cafés, les bottegoni de Brescia, que de « lord » Bright et de « sir » Gladstone, qui défendaient vaillamment l’Italie contre « sir » Disraeli et « lord » Bowyer. Les Italiens, toujours habiles en flatterie, décoraient de ces titres aristocratiques tous les « Jones » et tous les « Brown » qui venaient, badauds intrépides, acheter les débris de boulets, les lambeaux d’uniforme ramassés sur le champ de bataille par les paysans de Medole, de Cavriana, de Solferino. La presse anglaise, en revanche, prodiguait au peuple italien ces avances caressantes, ces louanges, ces encouragemens que nous leur refusions, et c’est grâce à elle que les combats livrés autour de San-Martino par l’armée piémontaise devinrent une bataille spéciale à laquelle on semblait vouloir donner le pas sur celle que les Français livraient quelques kilomètres plus loin.

Cette opinion, singulière pour quiconque prend la peine d’y regarder, se retrouve dans le livre de M. Arrivabene, et tout récemment encore un orateur piémontais soulevait des orages en émettant devant les députés de Turin l’opinion que, sans l’assistance des Français, l’armée sarde eût été écrasée à San-Martino. Une question préalable était de se demander si cette armée serait arrivée sans le secours des Français jusqu’aux bords du lac de Garda, et, bien que les Piémontais en 1848 aient pu, grâce à l’affaiblissement momentané des ressources autrichiennes, aller mettre le siège devant Peschiera, peu de gens croiront qu’en face des deux cent cinquante mille hommes que Giulay menait au mois d’avril 1859 jusqu’aux portes de Turin, ils eussent aussi facilement reconquis la Lombardie. Laissons là pourtant ce point délicat, et, puisqu’elle est si souvent mise en question, tâchons de fixer nos idées sur cette