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à cette impression fugitive. Ayant d’ailleurs questionné l’aubergiste sur le compte de ces deux personnages, il m’avait répondu qu’il les croyait Français et attachés tous les deux, au commissariat de l’année ; mais lorsque je rentrai dans la salle à manger, toute incertitude cessa aussitôt. L’un des deux était bien réellement Kossuth. Je m’empressai d’aller lui serrer la main, et il me présenta immédiatement à son compagnon, le sénateur P…, auquel il prit soin de me nommer. Il ajouta qu’il se rendait au quartier-général de l’armée française et me pria de ne prononcer son nom devant qui que ce fût, attendu qu’il voyageait sous l’incognito le plus strict. Le lecteur peut aisément deviner si je pris ou non pour un heureux présage ce voyage de Kossuth entouré de tant de mystère. Le voir faire route avec le même personnage qui, moins d’un an auparavant, l’eût peut-être fait arrêter, s’il se fût permis de traverser la France, il n’en fallait pas tant pour me confirmer dans la créance, depuis quelque temps très répandue, d’un accord complet entre les patriotes hongrois et l’empereur. Je me crus alors si certain de voir se réaliser la prophétie que m’avait adressée M. de Cavour à un déjeuner chez le gouverneur Vigliani, qu’une occasion s’étant offerte de faire passer une lettre à ma mère, dont la résidence était Mantoue, je lui écrivis de me faire préparer une chambre pour les premiers jours d’août[1]. »


Ces espérances à court terme furent déçues, ce triomphe auquel on croyait toucher disparut comme un mirage fantastique. Le traité de Villafranca dissipa l’enthousiasme, et, par la révulsion soudaine qu’il opéra sur la fiévreuse ardeur du patriotisme italien, flétrit en un jour la reconnaissance italienne, alors au plus beau de sa floraison. Pour se faire une idée de ce que souffrirent en ce moment certaines âmes, il suffit d’observer, avec l’écrivain lombard, M. de Cavour pendant les heures qui suivirent la révélation du changement soudain que venait de subir la politique française. M. Arrivabene, qui était établi à Pozzolengo depuis le lendemain de Solferino, partageait ses assiduités entre le quartier-général français, établi à la villa Maffei (Valeggio), et celui de Victor-Emmanuel, établi à Monzambano, dans la modeste habitation du signor Melchiori. Lorsqu’il y arriva au grand galop de son cheval, dans l’après-midi du 7 juillet, il croyait y apporter la nouvelle de l’armistice qui venait de lui être donnée à Valeggio ; mais cette fatale nouvelle l’y avait devancé. L’indignation de l’état-major piémontais était au comble et s’exprimait dans un langage que M. Arrivabene n’a pu reproduire. Il ne s’agissait pourtant encore que d’un armistice ; mais chacun pressentait que la paix devait sortir de négociations entamées dans de telles circonstances. Le 11 juillet effectivement, après l’entrevue des deux empereurs, Victor-Emmanuel apprit de la bouche de son puissant

  1. Italy under Victor-Emmanuel, t. Ier, p. 258-259. — La prédiction de M. de Cavour fixait au 1er août l’entrée des allies dans les murs de Mantoue. Ibid., p, 257.