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sarde ? — Chartres n’est pas mon pays natal… Je m’appelle de Chartres… Je suis le second fils du duc d’Orléans… » Et pour ne pas prolonger un quiproquo embarrassant le jeune prince s’éloigna au galop.

Les chasseurs des Alpes cependant faisaient à part cette petite campagne de Lombardie et de la Valteline, qui peut passer pour un des chefs-d’œuvre de la tactique garibaldienne. Ils n’étaient que trois mille. Le général Urban, chargé de les combattre, avait dix mille hommes sous ses ordres. La méthode excentrique, les manœuvres, les stratagèmes singuliers du chef italien, déconcertant la méthode allemande, compensaient l’inégalité du nombre. Jamais Garibaldi ne laissa deviner son infériorité sous ce rapport. Il étalait ses forces, il dispersait au loin de petits détachemens, et, plusieurs fois enveloppé, il sut se dérober toujours. À Varese, à Côme, à Treponti, sa petite colonne était à peu près cernée, et devait être détruite : son chef la tira de ces mauvais pas, et promena impunément le drapeau de l’insurrection sur cette partie du territoire lombard où le roi-dictateur l’avait envoyé en lui disant : « Agissez à votre guise !… Je voudrais bien vous accompagner… » Une des ruses de Garibaldi fut de maintenir son antagoniste dans la ferme conviction qu’il agissait de concert avec la division de Cialdini. Pendant que celle-ci se distinguait à Palestro, le général Urban la croyait en rapports constans avec les chasseurs des Alpes. Comment ne l’aurait-il pas supposé ? Ses éclaireurs arrêtaient à chaque instant des messages de Garibaldi, qui tantôt demandait secours à son collègue, tantôt lui indiquait une manœuvre opportune. Ces chimériques dépêches, quand elles arrivaient sous les yeux du commandant autrichien, étaient parvenues à leur véritable adresse[1].

La grande lutte cependant suivait son cours. À Palestro succédait Magenta, dont le champ de bataille était encore couvert de blessés, de mourans et de cadavres, lorsque le soir même de la victoire M. Arrivabene le parcourut à cheval. Il vit là de magnifiques échantillons de cette sérénité joyeuse que le soldat français porte sous le scalpel même du chirurgien et jusque dans les bras de la mort. Le clair de lune était splendide ; l’ora di notte vint à sonner : c’est ce que nous appelons l’Angélus, c’est l’invitation à prier pour ceux

  1. En arrivant à Come, d’où les Autrichiens venaient de sortir précipitamment, Garibaldi, qui depuis Verrue n’avait plus aucunes nouvelles du théâtre de la guerre, apprend que les fils télégraphiques subsistent encore du côté de Milan. « Demandons ce qui se passe, dit-il en riant. Peut-être aura-t-on la bonté de nous répondre… » Le major Corte, par son ordre, lance la question suivante : Les alliés ont-ils fait quelque mouvement offensif ? — Réponse : Qui demande ceci ? — Réplique : Le lieutenant-général Urban. Sur quoi revient un télégramme ainsi conçu : Non, les alliés n’ont pas encore marché en avant.