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patriarcales émotions de la vie de famille, de l’auberge au palais, courtisan le soir, presque bandit le matin, exposé comme un soldat, curieux comme un espion, accueilli là comme un frère, ici comme un agent de lord Palmerston, et se réveillant un beau jour dans les cachots de Gaëte, à la merci très peu miséricordieuse des généraux Viale et Ulloa. Bien lui en prit ce jour-là d’être protégé par le prestige de la susceptibilité britannique. En somme, il sortit sain et sauf de ces mille aventures, qu’il a relatées sans trop de prétention littéraire, avec une bonhomie tout anglaise, une verve tout italienne. Nous n’animerons pas que son livre est un chef-d’œuvre : il serait homme à nous démentir tout des premiers ; mais l’impression qu’on en garde est favorable. L’auteur, on le voit, ne cherche ni à grossir, son importance, ni à faire étalage d’impartialité. Il est ce qu’il est, un libéral italien, partisan zélé de l’imité nationale, admirant Cavour, aimant Garibaldi, et ne s’arrêtant qu’un peu en-deçà du mazzinisme, dont il se méfie.

L’idée de revenir en détail sur l’histoire de ces trois mémorables années ne saurait entrer dans le plan du rapide tableau dont ce livre nous offre le sujet. Les lecteurs de la Revue ont déjà suivi pas à pas les traces de Garibaldi dans les Deux-Siciles. Cette légende historique leur a été racontée par un écrivain qui, sur ces champs de bataille si pittoresques, dans ces combats livrés pour une cause sainte, portait, avec l’ardeur du partisan politique, les préoccupations de l’artiste et du romancier. Ce qui a été dit de ces grandes luttes par un témoin qui se trouvait mêlé souvent, à l’action même, nous n’avons pas à le redire ; mais il reste encore, on va en juger, quelques points curieux, quelques vérités utiles à mettre en lumière.


I

M, le comte Charles Arrivabene était encore à Paris le 3 mai 1859. Le 7, le gentilhomme italien devenu correspondant d’un journal anglais (les Daily News) accompagnait une reconnaissance que les cacciatori delle Alpi faisaient aux environs de Casale, sous les ordres de Garibaldi et de Cialdini. Peut-être se trouvait-il à Palestro, où le second de ces généraux se distingua tout particulièrement. On le croirait du moins en l’écoutant raconter, comme eût pu le faire un des assistans, la conversation qui s’établit après la bataille entre le colonel français Chabron et un jeune lieutenant de Nice-cavalerie chargé d’escorter une colonne de prisonniers. « Votre accent n’est pas celui de ce pays, remarqua le colonel après avoir écouté le rapport… D’où êtes-vous ? — Je suis Français, je suis de Chartres. — Ah ! vous êtes de Chartres ?… Et comment vous trouvez-vous au service