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Réclamons la même liberté pour tous les travaux de l’intelligence. Quand l’esprit de parti, soit pour louer, soit pour blâmer, intervient dans un problème d’histoire, dans une question littéraire, dans un débat philosophique, la science est en péril. Stipulons, non pas le droit des neutres, mais le droit de la science. La science ! elle est supérieure à nos luttes éphémères ; n’est-ce pas un devoir de maintenir son culte et d’assurer ses franchises ? Ne faut-il pas que les hommes d’étude puissent poursuivre leurs recherches sans s’exposer à être pris pour des factieux, ou, ce qui ne serait pas une accusation moins grave, pour des flatteurs ? M. Thierry n’est ni l’un ni l’autre, lui qui a flétri plus d’un empereur et glorifié l’empire. Eh ! quel rapport voudrait-on établir entre notre siècle et des temps si éloignés de nous ? L’empire romain, couronnement du vieux monde et initiation du monde nouveau, occupe une place absolument unique dans l’histoire. Le soleil n’éclairera pas deux fois un tel spectacle. Les patries détruites par l’empire romain étaient de petites communautés barbares, farouches, hostiles au genre humain ; la patrie moderne, grâce au christianisme, est une communauté généreuse, qui s’ouvre à l’étranger sans se perdre dans la promiscuité universelle. Quand on a vu les principes de 89 commencer leur tour du monde et abattre comme des barrières vermoulues les préjugés de l’ancien régime, on a vu en même temps, contraste significatif, les nationalités se redresser d’un bout de l’Europe à l’autre. Cette vie, ce mouvement, ce besoin d’action individuelle, si manifestes chez tous les peuples, sont-ce là des choses qui rappellent le nivellement nécessaire de la romanité ? Un souverain moderne, magistrat suprême chargé d’entretenir et de diriger la vie, peut-il envier le rôle d’un césar chargé de niveler la terre, de fonder l’ordre extérieur, d’orner et de régulariser le néant ? Écartons à jamais des rapprochemens impossibles. Le poète populaire de la France moderne ne nous comparait pas aux Romains des césars, il évoquait nos souvenirs indigènes, et c’est sous cette bannière qu’il nous poussait à la conquête de nos destinées : Serrons les rangs ! disait-il. En avant, Gaulois et Francs !


SAINT-RENE TAILLANDIER.