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prendre part au mouvement complexe de la civilisation ; il y a sur ce point bien des exceptions à reconnaître. M. Ernest Renan, qui a mis en relief plus vigoureusement que personne ce caractère exclusif des sémites, a montré pourtant que la tendance contraire existait même chez le peuple d’Israël, à plus forte raison chez des nations mondaines comme Tyr et Sidon. Les recherches de M. Amédée Thierry nous font voir qu’une grande partie de la race sémitique, les Phéniciens d’Afrique, les Arabes de Syrie, contribuèrent activement sous l’empire à la civilisation générale. En Afrique, le mouvement datait de la reconstruction de Carthage par Jules César ; en Syrie, l’impulsion fut donnée par Adrien et Marc-Aurèle. La métropole punique, relevée avec tant d’éclat de ses ruines, avait suscité autour d’elle un groupe de villes phéniciennes ou numides, Madaure, Adrumète, Leptis, Cirtha, qui étaient des foyers de science et de culture sociale. Les anciennes villes syriennes, Émèse, Édesse, si déchues de leur splendeur, mais rappelées à la vie par les Antonins, étaient devenues aussi au second siècle de l’ère chrétienne des centres fort actifs où renaissait la civilisation de l’Orient. Il y a un moment au IIe siècle où les Africains sont partout et partout aussi les Syriens. Quel est le grand jurisconsulte de cette époque ? Quel est l’homme dont le nom est attaché à l’édit perpétuel, c’est-à-dire à l’acte le plus important des empereurs espagnols ? L’Africain Salvius Julianus. À ce moment-là même, le premier des orateurs est Fronto, fils de Cirtha la Numide. Dans les lettres, au sénat, dans les conseils du prince, dans ces hautes fonctions administratives qui ressemblaient à des vice-royautés, on voit au premier rang les enfans de l’Afrique. Aussi, quand le stupide Commode termine si honteusement le noble groupe des césars espagnols, lorsque l’anarchie commence, que la guerre civile éclate, que le monde romain se croit revenu au temps de César et de Pompée, quels sont-ils ces deux hommes qui tiennent l’univers en suspens ? Deux Africains encore, deux hommes dont la métropole est Carthage, Albinus d’Adrumète et Septime-Sévère de Leptis.

La dynastie d’Afrique, ouverte par le Carthaginois Septime-Sévère, amène les Syriens sur la scène ; Septime-Sévère avait épousé une Syrienne, la belle et savante Julia Domna. Ne nous laissons pas tromper par tous ces noms latins ; un des caractères de l’empire, c’est que les races les plus étrangères à l’Italie faisaient toute sorte d’emprunts aux habitudes romaines, sans renoncer à leur esprit national ; c’était leur manière de s’emparer de Rome. Bien que les médailles frappées en Orient et en Occident portassent ce même nom : Rome éternelle, il suffit d’y regarder avec attention pour distinguer une médaille gauloise d’une médaille syrienne. C’est ainsi