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dictature impériale a créé la loi qui devait soutenir l’état jusqu’en ses plus mauvais jours et transmettre aux peuples nouveau-nés des principes immortels. On s’étonne souvent que des bêtes féroces comme Néron ou Domitien aient pu assouvir si longtemps leurs effroyables caprices ; on ne comprend pas que le monde ait été assez lâche pour s’abandonner ainsi lui-même, et on se prend à mépriser l’espèce humaine lorsqu’on songe qu’en pleine civilisation, après tant de sublimes enseignemens, après tant d’exemples héroïques, elle a pu subir une aussi complète dégradation. Étudions les choses de plus près, examinons-les à la clarté du flambeau que M. Thierry vient d’allumer en ces ténèbres ; nous verrons bientôt qu’il y a eu là deux histoires très distinctes : d’un côté l’histoire particulière de Rome et de ces personnages de théâtre que Paul Orose appelle les gladiateurs, de l’autre l’histoire des nations qui poursuivent leurs destinées dans l’ombre, et qui, sous la protection de la loi commune, préparent la riche diversité de l’avenir, c’est-à-dire la civilisation chrétienne. Même sous le principat de ces hommes que flétrira éternellement l’histoire, la grande œuvre d’équité, jusque-là inconnue au monde antique, poursuivait régulièrement son cours. Ce qui était foulé aux pieds des monstres, c’était la vieille société patricienne, si glorieuse autrefois, mais si impitoyable ; le monde au contraire se sentait revivre aux rayons d’un soleil de justice qui n’avait jamais lui, même en Grèce, sur notre malheureuse race. Et qui donc avait créé cette politique humaine qui s’imposait aux plus infâmes tyrans ? Il faut bien le dire, c’était César, ce César que M. Michelet ne craint pas d’appeler l’homme de l’humanité. Voici le premier personnage de l’histoire à qui peut être décerné ce titre magnifique. Le Christ n’était pas encore venu, et il y avait quelqu’un sur la terre qui devait être appelé l’homme de l’humanité par la libérale philosophie du XIXe siècle. N’y avait-il pas là de quoi effacer bien des méfaits et racheter bien des vices ?

Il faut lire dans le tableau de M. Amédée Thierry comment toutes les nations de l’empire entrent l’une après l’autre dans les vastes cadres de l’humanité nouvelle établis par le génie de César. Le dénombrement de ces races, la peinture des pays, des mœurs, des cultes religieux, du degré de civilisation où était parvenue chacune d’elles, forment une large introduction aux scènes extraordinaires qui vont suivre. Non-seulement tous les peuples applaudissent à la révolution romaine qui brise les barrières aristocratiques et fait entrer l’univers dans la cité universelle, mais ils donneront bientôt des empereurs à cette assemblée de nations qui s’appellera Romanitas. Les provinces sont contentes, écrivait Tacite ; un Gaulois s’est emparé de Rome, disait Sénèque en se moquant de l’empereur