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deuxièmement un nom hiératique, Flora, troisièmement un nom politique, Roma. »

Dans cette précieuse découverte, M. de Lasaulx ébloui ne voit que le premier mot et le dernier ; il laisse de côté Flora, qui gênerait un peu sa théorie. Il faut en effet que Rome ait deux noms, mais deux noms seulement, l’un qui la représente dès l’origine comme l’héritière de Babylone, l’autre qui annonce en elle l’héritière de Jérusalem. Je l’ai trouvé ! disait Archimède. Voilà donc ce que je cherchais ! s’écrie M. de Lasaulx : Roma, amor, force et amour, voilà les deux mots prophétiques qui renfermaient d’avance toute la destinée de Rome. Il remarque, dans l’ivresse de sa joie, que ces deux mots n’en font qu’un. Ne sont-ils pas l’un et l’autre composés des mêmes lettres, et ne dirait-on pas les deux aspects d’une même idée ? Prenez le mot Roma, et lisez-le à la manière orientale, c’est-à-dire de droite à gauche, vous avez le mot amor. Que de choses dans cette remarque[1] ! Ne croyez pas que ce soit un simple effet du hasard, il y a ici un sens philosophique, à savoir que l’amour suppose la force, et qu’un esprit vigoureux, un esprit capable de haïr, est aussi le seul qui sache aimer ; l’amour infini, chez Dieu lui-même, n’a-t-il pas pour fondement la puissance infinie ? Voici néanmoins une réflexion qui mêle une certaine inquiétude à la joie du chercheur de mythes : ce Lydus qui nous apprend le nom sacré de la ville arrive bien tard pour faire ses révélations ; entre les origines qu’il raconte et le moment où il tient la plume, il n’y a pas moins de douze cents ans. Si un autre écrivain de l’antiquité vient confirmer le rapport de Lydus, c’est encore un Byzantin, et un Byzantin d’une période postérieure, c’est ce célèbre Photius, homme de cour, général de cavalerie, archevêque, fondateur d’église, et le plus curieux archéologue de son siècle. Dans un fragment découvert et publié de nos jours par le cardinal Angelo Mai, Photius répète exactement les affirmations de Lydus. Voilà deux autorités au lieu d’une, pourvu que ce soient en effet des autorités : doute cruel pour l’érudit ; mais M. de Lasaulx se hâte d’écarter ces dernières ombres. « En pareille matière, se dit-il, c’est une loi toute naturelle que ce qui est caché au début ne puisse être dévoilé que bien longtemps après. Jésus-Christ disait à ses disciples : Il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive être connu, » Ainsi telle est la conclusion des études de M. de Lasaulx : soit qu’on étudie la légende idéale ou la légende historique du Latium, soit

  1. Hegel, dans sa Philosophie de l’histoire, avait déjà parlé de ce nom mystérieux de Rome, mais sans s’y arrêter comme M. de Lasaulx. Il remarque seulement que tout est mystère et bizarrerie dans le culte des Romains, tandis que tout est clair, franc, naïf, dans la religion des Hellènes.