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Romulus se retrouve en effet à toutes les grandes époques de l’histoire ; l’antiquité l’a conçue sous une forme mythologique, le moyen âge l’a développée en la mêlant à son catholicisme, les modernes eux-mêmes en ont gardé la trace, et telle observation de Paul Orose, mystiquement commentée par Dante Alighieri en son de Monarchia, reparaît, dégagée de ses bizarreries, dans le sévère Discours de Bossuet. Seulement il s’agit ici d’indications rapides plutôt que d’une pensée logiquement suivie. Des légendes, des rapprochemens inattendus, un mot, un soupçon, un éclair, voilà ce que nous offre à ses origines cette tradition mystérieuse Ce sont comme les ébauches d’une philosophie de l’histoire. Les fragmens sont nombreux, le système n’existe pas. C’est précisément ce système que M. de Lasaulx a voulu construire, ce sont ces idées éparses qu’il a réunies en un vaste et bizarre tableau ; cette histoire mystique de Rome que le moyen âge avait soupçonnée dans ses rêveries enfantines et grandioses, l’ingénieux érudit de Munich l’a écrite en plein xixe siècle. On voit que nous avons affaire ici à un compatriote de Baader.

Dans une description de l’Italie qui est une sorte de philosophie de l’histoire romaine, Pline le naturaliste a dit magnifiquement : « Cette terre, l’élève et en même temps la mère de toutes les terres, a été choisie par la providence des dieux pour rendre le ciel même plus brillant, pour réunir les empires dispersés, pour adoucir les mœurs, pour rapprocher par la communauté du langage les idiomes discordans et barbares, pour fournir à tant de races opposées le moyen de s’entendre, pour donner à l’homme l’idéal de l’homme[1], pour devenir enfin l’unique patrie de toutes les nations de l’univers. » On ne trouve pas seulement dans ce texte de Pline le magnanime orgueil de la vieille Rome, cet orgueil qui ressemble à une foi et que tant d’écrivains, depuis le poète inspiré jusqu’au légiste exact, depuis Virgile jusqu’à Modestinus, ont exprimé dans les mêmes termes ; il y a quelque chose de plus, on dirait qu’un souffle religieux anime ces litanies de la gloire. Soit que l’auteur ait recueilli la tradition orale, soit qu’il ait résumé l’opinion de ces nombreux écrivains, aujourd’hui perdus, qui lui ont fourni les matériaux de son livre, il représente ici autre chose que le patriotisme ordinaire. Cette providence si occupée à Rome, ce ciel rendu plus brillant, cette pure image de l’homme donnée enfin à la race humaine, ne seraient-ce donc pas des pressentimens du christianisme ? M. de Lasaulx est persuadé que la tradition mystique dont on peut découvrir les vestiges dans ce passage de Pline remonte jusqu’aux origines de Rome, et qu’elle a été confirmée par des événemens

  1. « Ut humanitalem homini daret. »