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d’esprit et de talent n’est entièrement définie, selon moi, que quand on a pu nommer son contraire. Or le contraire, l’opposé et, si j’ose dire, l’antipathique de M. Magnin était Lerminier. Qui de nous ne se souvient de ce dernier auquel l’oubli final peut-être vaudrait mieux ? Mais qu’il était brillant à ses débuts ! qu’il avait donné de belles et grandioses espérances ! que d’études fortes il avait entreprises et entamées vaillamment ! sous quels heureux et honorables auspices il s’annonçait ! Nature audacieuse et ambitieuse, trop tôt démentie, talent d’emphase et d’éclat, d’apparat et de montre, clairon et cymbale, boute-en-train de la jeunesse, simulacre révolutionnaire qu’un brusque coup de vent démasqua et retourna, qu’on venait d’entendre faire le généralissime et commander la charge, qu’on vit tout d’un coup culbuté et en déroute comme un tambour-major sans armée ; à la fin esprit déchu qui n’était plus qu’un tempérament, tombé de la passion dans l’appétit, il eut pourtant jusque dans les dernières années, et même dans ce qu’on ne lisait plus de lui, quelques éclairs d’autrefois, bien des restes de ses fortes études du commencement. Lerminier, en ses heures de plénitude et d’orgueil, se permettait envers le modeste et studieux M. Magnin des airs superbes, et il se sentait pour lui quelque dédain qu’il ne dissimulait pas ; il riait de lui voir des velléités de savoir en tous sens quand les instrumens pour cela lui manquaient en partie ; il ne se prêtait pas toujours à le satisfaire, quand on le questionnait au nom de son curieux et friand collaborateur sur les choses et les hommes d’au-delà du Rhin : « Ce sont des envies, des caprices d’érudition, disait-il, il peut attendre. » Il triomphait avec supériorité de son accès aux hautes sources germaniques et de sa première nourriture de moelle de lion. Il ne voyait pas que comme, dans les jeux des courses, celui qui va toujours et sans s’arrêter un seul instant, n’avançât-il que peu à peu, ira plus loin que celui qui s’élance d’abord, qui extravague et bondit à l’aventure, M. Magnin approcherait bien plus près du but où lui, avec toute sa fougue, il ne toucherait pas. Lerminier n’était qu’un faux génie qui brisa de bonne heure et manqua sa carrière ; la continuité, la patience et l’économie prudente devaient avoir raison contre lui à la longue et l’emporter.

Ge ne fut pas un mécompte, ce fut un soulagement pour M. Magnin, lorsque M. Fauriel se fit remplacer par Ozanam : décidément la chaire avec ses bruits et son mouvement lui allait peu ; il fut heureux de pouvoir reprendre son pas, son allure favorite, le doux train de l’érudition à huis clos ; il s’y appliqua désormais tout à son aise, sans dérangement aucun, et de plus en plus dans cette même ligne des origines théâtrales qu’il s’était tracée.