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Le rôle du prince Adam aux deux momens décisifs de cette formidable crise de 1812 se résume dans un double fait. Lorsque la cause de son pays semblait victorieuse sous la protection de Napoléon et que l’empereur Alexandre semblait menacé de quelque catastrophe, il gardait une certaine réserve qu’il expliquait dans une lettre à M. Matuszewicz, ministre à Varsovie : « La Pologne va renaître de ses cendres, disait-il ; elle a l’espoir certain de retrouver toutes ses parties déchirées. Au milieu de la joie de tous, moi seul je suis condamné à mêler des regrets personnels à l’espoir de la prospérité de ma patrie. Mes parens pourront se rendre immédiatement à Varsovie pour assister à l’acte mémorable qui doit recommencer l’existence de la Pologne ; je suis condamné à ne pas y paraître… J’ai fait mes preuves d’attachement inébranlable à mon pays et à ma nation. Comment mes vœux ne seraient-ils pas pour cette cause sacrée à laquelle mon père, mon frère, toute ma famille, tant d’amis vont concourir ?… Si les destinées de ma patrie étaient encore incertaines, si pour la sauver il fallait sacrifier les considérations les plus respectables, je ne devrais pas balancer, ou du moins je pourrais présenter, une excuse à moi-même et à ceux qui me jugeront ; mais qui peut douter des résultats de cette lutte ? qui serait assez privé de bon sens pour ne pas voir que toutes les probabilités promettent le succès au génie de la victoire ? Tous les malheurs menacent au contraire Alexandre : serait-il noble d’ajouter par une précipitation si peu loyale à tant de désastres imminens l’amertume que lui causerait l’ingratitude de la part de celui qui lui devait une reconnaissance particulière ? Une personne de plus ou de moins en ce moment ne saurait influer sur les chances qui s’ouvrent pour la Pologne, ni faire tomber un seul grain dans la balance où l’avenir des nations est déjà résolu et pesé par une main aussi habile que puissante… » Lorsqu’au contraire la fortune avait changé, lorsque c’était la cause de la Pologne qui pliait sous la défaite et que la Russie était victorieuse, le prince Adam se tournait vers Alexandre, insistant plus que jamais auprès de lui pour être libre de tout lien, se rattachant à son pays avec une énergie ravivée par le malheur et revendiquant une solidarité entière avec ses compatriotes menacés. « Sire, écrivait-il au souverain russe vers les derniers jours de 1812, j’ai refusé jusqu’à présent d’envoyer mon accession à la confédération ; mais je me suis joint à elle par sentiment, j’y ai adhéré de tous mes vœux pour ma patrie, mes lettres à votre majesté le témoignent. Ce n’est pas lorsque mes compatriotes croient voir approcher le moment où leurs intentions les plus droites, leurs sacrifices les plus héroïques, leurs pertes les plus sensibles ne seront suivis que par des malheurs plus grands encore, ce n’est