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de Napoléon ? Dans tous les cas, la première condition était la réunion de tout ce qui était polonais en un seul royaume, sous un seul sceptre, et la proclamation immédiate de la constitution libérale de 1791 ; il ne faudrait pas moins. « Ce n’est pas par des demi-mesures et avec des réticences qu’on pourra espérer changer tout à coup la méfiance et l’animosité en enthousiasme et en attachement. » Quelles étaient en outre les forces dont l’empereur pouvait disposer pour entrer dans cette lutte ? Sur quelles alliances pouvait-il compter ? Ne vaudrait-il pas mieux commencer par une tentative pour arriver à un résultat par la paix générale et en conservant en tout les formes les plus loyales ? Quant à lui, en présence d’une situation telle que cette confidence la révélait, il insistait plus que jamais pour être délié absolument du service. « Si les vues bienfaisantes de votre majesté pour la Pologne ne pouvaient se réaliser, disait-il, et que votre politique exigeât de traiter ce pays en ennemi, vous concevez facilement, dans cette cruelle supposition, combien peu je pourrais vous être utile, et combien je dois désirer me retirer du service d’une puissance qui fera, fût-ce involontairement, la ruine de mon pays. Si le plan de votre majesté réussit, je pourrai mieux servir la cause commune comme Polonais que comme étant au service de la Russie. » Alexandre était désormais impatient ; il avait l’anxiété et la résolution fiévreuse de la lutte qu’il redoutait et qu’il provoquait à la fois, et il fit un pas de plus dans cette correspondance mystérieuse, où il débattait tout comme avec lui-même, écrivant tout de sa propre main ; il se hâtait, et dès le 31 janvier 1811 il répondait au prince Adam :


« C’est avant-hier soir que j’ai reçu, mon cher ami, votre intéressante lettre du 18/30 décembre, et je m’empresse de vous répondre tout de suite.

« Les difficultés qu’elle me présente sont très grandes, j’en conviens ; mais, comme je les avais prévues en grande partie et que les résultats sont si majeurs, s’arrêter en chemin serait le plus mauvais parti.

« Me pénétrant bien du contenu de votre lettre, j’ai cru pouvoir en tirer sur votre manière de voir les conclusions suivantes :

« Incertitude où vous vous trouvez sur la puissance par qui la restauration de la Pologne doit se réaliser ;

« Incertitude pareille sur la nature même de cette régénération, et crainte qu’on ne veuille pas se prêter à ce que tout ce qui faisait la Pologne autrefois soit réuni ensemble ;

« Nécessité d’offrir aux Polonais, pour se les rendre favorables, la certitude d’un état de choses préférable à celui dans lequel ils se trouvent ;

« Crainte que vous éprouvez sur l’insuffisance des moyens militaires qu’on veut mettre en jeu contre nous ;

« Ce sont là les points auxquels je crois devoir commencer par répondre, me réservant de toucher les autres dans le courant de ma lettre.