Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses généraux, et il alla se faire battre piteusement à Austerlitz. Ce n’était pas la faute du prince Adam, dont aucune des idées n’avait été suivie et dont l’influence avait déjà diminué ; c’était la faute d’Alexandre, qui, flottant entre toutes les idées et tous les systèmes, blessant l’orgueil de Napoléon sans se rendre compte de ce qu’il faisait, s’était lancé dans cette aventure sans avoir rien prévu ni rien préparé, pour en revenir mécontent de tout le monde et de lui-même, plus que jamais rejeté pour le moment dans l’incertitude et répétant avec amertume : « On ne m’y reprendra plus ! »

Or la campagne d’Austerlitz conduisait à la guerre de Prusse, qui allait éclater un an après, et la guerre de Prusse elle-même, en étendant les conflits, en les portant vers le nord de l’Europe, était de nature à créer une situation nouvelle où cette question de Pologne, devant laquelle Alexandre venait de reculer, pouvait se réveiller tout à coup dans des conditions inattendues. On l’entrevoyait déjà. Tant que le prince Adam avait cru à demi à la possibilité d’une réparation par la Russie et qu’il avait été soutenu dans cette idée par l’amitié et la confiance intime de l’empereur, il était resté au poste ingrat où un caprice de bienveillance souveraine l’avait placé. Dès que la confiance impériale diminuait à la suite d’Austerlitz et qu’on marchait à grands pas vers une de ces éventualités qu’il avait pressenties à son entrée au pouvoir, où l’intérêt de son pays pouvait se trouver en lutte avec la politique de la Russie, il ne songeait plus qu’à se retirer du ministère. Par délicatesse autant que par prévoyance patriotique, il insistait auprès d’Alexandre pour se dégager du service. Il ne voulait ni rester séparé de son pays au moment d’une crise, ni être soupçonné d’avoir préparé cette crise comme ministre. De ses emplois il ne gardait que le poste tout national de curateur de l’université de Wilna. Ce n’était pas la fin de son amitié et de ses rapports intimes avec Alexandre, c’était la fin de son existence publique en Russie, et c’est ainsi qu’il arrivait libre, sans autre engagement qu’un lien nominal avec Pétersbourg et son attachement personnel pour l’empereur, à ce conflit d’événemens au-dessus desquels le nom de la Pologne allait se lever de nouveau.

Je voudrais peindre cette situation qui, à dater de 1806, se prolonge jusqu’en 1815 à travers les plus redoutables, les plus sanglantes vicissitudes, et où la Pologne reprend un rang dans les affaires de l’Europe pour ne plus disparaître, où cette question une fois ravivée grandit dans la mesure même des complications générales. Au milieu de ces grandes péripéties de l’empire qui mettaient aux prises toutes les ambitions pour aboutir à un duel suprême entre la France et la Russie, entre Napoléon et Alexandre, qui par une sorte