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où la grandeur de la Russie se liait à une pensée de justice, de respect du droit des peuples et des nationalités violentées, où il faisait reluire habilement l’émancipation des Grecs et des Slaves. Le nom de la Pologne n’était pas prononcé, mais il venait sur les lèvres, et le rétablissement de la nation polonaise se laissait entrevoir dans l’ombre comme le couronnement du système.

Le plan de ce curieux ministre polonais des affaires moscovites n’était-il qu’une chimère ? Le prince Adam s’en est douté depuis, je crois ; il s’est aperçu plus tard qu’aucun Russe, fût-ce le plus libéral, ne se laisse placer de son plein gré et sans arrière-pensée en face d’une résurrection possible, même lointaine, de la Pologne. Le jour où comme ministre il développa son système dans le conseil, il ne trouva que faveur et applaudissement tant qu’il ne parla que de la grandeur, du rôle prépondérant de la Russie. Dès qu’il en vint au but, aux obligations de ce rôle, aux droits des autres peuples, aux principes de justice, les visages se rembrunirent ; l’attitude des assistans devint contrainte et froide, et on se tut. L’empereur seul fut charmé. Ce plan parlait à son ambition secrète et à ses sentimens ; il lui souriait d’autant plus qu’il était d’une réalisation éloignée, qu’il laissait le champ libre à l’imagination et à toute sorte de combinaisons sans exiger une décision ou tout au moins une action immédiate. Seulement, en subissant le charme, Alexandre entrait dans cet ordre de vues avec sa nature impressionnable et mobile, en homme toujours partagé entre les inspirations d’un ministre qu’il aimait et les influences russes qui l’assiégeaient chaque jour davantage. Il ne fit rien même pour s’acheminer de loin vers le but, et le rêve finit par la guerre de 1804, où la Russie n’était qu’une puissance de plus dans une coalition organisée contre la France, une puissance ne sachant pas même bien au juste où elle allait et ce qu’elle voulait., Le prince Adam aurait voulu, puisqu’on était en guerre, que dès l’entrée en campagne on s’armât des tergiversations de la Prusse et de ses condescendances craintives envers la France pour la sommer de se prononcer, lui passer sur le corps au besoin, et lui prendre ses provinces polonaises, qui, réunies à celles que possédait la Russie, auraient formé un royaume distinct sous le sceptre d’Alexandre. Ce n’était pas la première fois que cette idée passait dans les entretiens de l’empereur et du prince Adam ; c’était la première fois qu’elle prenait une forme saisissable et que l’occasion s’offrait. Alexandre parut un moment donner dans ce projet, puis il ne résista pas à la séduction d’une amitié récemment formée avec le roi et surtout avec la reine de Prusse. À toutes ses indécisions, il ajouta le tort plus grand encore peut-être de céder, lui aussi, au goût de la gloire militaire, d’embarrasser de sa présence la responsabilité