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Un jour, au commencement du règne, Duroc, l’aide de camp du premier consul, venait d’arriver à Pétersbourg pour complimenter Alexandre, et on en avait profité pour signer une convention qui ne réglait aucune difficulté entre la Russie et la France, qui ne contenait qu’un article remarquable par lequel les deux pays se promettaient mutuellement de ne point protéger les émigrés. Cet article était principalement dirigé contre les émigrés français ; mais par le fait il se tournait aussi contre les Polonais. C’était un des premiers actes du règne. L’empereur n’en avait rien dit au prince Adam, qui, à l’a première entrevue, en fit l’observation avec une tristesse qui était un reproche. L’empereur baissa les yeux, resta un moment confus, et finit par dire que cet article ne signifiait rien, qu’il n’avait pas moins à cœur les destinées futures de la Pologne. Le prince Adam, dans ses relations avec Alexandre, avait souvent de ces déceptions, et alors il était pris d’un découragement profond. Il désespérait de pouvoir servir utilement son pays, et, dévoré d’amertume, il n’aspirait qu’à s’en aller, à se soustraire à cette vie de continuels désappointemens ; puis, à la moindre éclaircie, sur une parole nouvelle de l’empereur, il retrouvait un peu de confiance. Il restait, il réprimait le dégoût du Russe qui le saisissait, et, faute de marcher plus ouvertement, plus directement au but national où il tendait, il faisait du moins tourner cette faveur exceptionnelle dont il était l’objet ou la victime au bien de ses compatriotes. Il intervenait pour ceux qui étaient exilés en Sibérie ou enfermés dans les cachots, faisait lever les confiscations, employait la diplomatie impériale à tirer des prisons de l’Autriche un des patriotes les plus éminens, l’abbé Kollontay, saisissait l’occasion de ménager un régime moins dur, moins tyrannique, aux anciennes provinces polonaises, sur lesquelles les fonctionnaires russes s’étaient abattus avec leurs mœurs violentes et déprédatrices. Il servait en détail, obscurément, se demandant chaque jour, après l’œuvre de la veille, ce qu’il pourrait faire le lendemain. Il se disait enfin qu’en ce moment, en Europe, où il semblait y avoir une triste émulation d’oubli pour son pays, dans cette cour où tout était froissement, où il ne pouvait se confier à personne, pas même à ses collègues du conseil secret avec lesquels il vivait familièrement, Alexandre était peut-être le seul homme qui laissât parler devant lui d’un avenir pour la Pologne, et qui en parlât lui-même.

Le dernier mot de ces rapports soumis à de si singulières alternatives ; l’expression ostensible de cette faveur obstinée et sans résultat, c’est l’élévation du prince Adam Czartoryski au ministère des affaires étrangères en 1802. Il fut d’abord simplement adjoint au comte Vorontsof, et bientôt il succéda comme ministre au vieux