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la tête de son fils, le prince Adam, par une sorte de disgrâce, se trouvait en Italie comme envoyé auprès d’un souverain sans états, le roi de Sardaigne, et la première pensée d’Alexandre était de le rappeler ; il lui écrivait aussitôt : « Vous aurez appris déjà, mon cher ami, que par la mort de mon père je suis à la tête des affaires. Je tais les détails pour vous en parler de bouche. Je vous écris uniquement pour que vous remettiez sur-le-champ les affaires de votre mission à celui qui s’y trouve le plus ancien après vous, et que vous vous mettiez en route pour venir à Pétersbourg. Je n’ai pas besoin de vous dire avec quelle impatience je vous attends. J’espère que le ciel veillera sur vous pendant votre route… Adieu, mon cher ami, je ne puis vous en dire davantage… » Et bientôt, malgré ce que pouvait avoir d’étrange la présence d’un Polonais, qui ne se cachait pas d’être Polonais, à la tête des conseils de la Russie, au risque d’étonner et de froisser les gens de cour russes, Alexandre n’avait point de repos qu’il n’eût fait arriver au ministère des affaires étrangères l’ami de sa jeunesse, le confident de ses rêves et de ses pensées. C’était une manière d’être fidèle à un premier sentiment.

Le libéralisme d’Alexandre et ses vues réparatrices sur la Pologne étaient-ils également sincères ? Ils l’étaient sans doute dans une certaine mesure. C’est même le propre de ce personnage curieux et énigmatique de l’histoire de s’être cru toujours fidèle à ces idées généreuses qui avaient tout d’abord fasciné sa jeunesse. Ce que pensait le grand-duc adolescent, encore loin du pouvoir, Alexandre ne le désavouait pas après la mort de Catherine, qui le rapprochait du trône. le despotisme capricieux et violent, quelquefois aussi puéril que farouche de son père, Paul Ier, ne faisait que le confirmer dans ses opinions premières. Devenu lui-même empereur par cette catastrophe dont il taisait les détails au prince Adam, et à laquelle il avait prêté tout au moins une connivence indirecte ou tacite pour en garder ensuite toute sa vie l’effroi et le remords, il se défendait auprès de ses amis les plus intimes d’avoir changé. Tout ce qui touchait à des réformes équitables, à des institutions libérales, à la justice, à l’émancipation des masses, il ne cessait de s’en préoccuper. Il aspirait toujours au rôle de bienfaiteur de l’humanité, de redresseur des iniquités. À mesure cependant qu’il entrait dans le domaine des choses réelles et qu’il se rapprochait du pouvoir, il éprouvait le trouble des caractères faibles jetés tout à coup en face de difficultés imprévues ; il subissait le dangereux attrait de l’omnipotence sans limites. Un homme nouveau se dessinait en lui, un peu embarrassé de ses aspirations et de ses rêves, facilement conduit, sinon à les désavouer, du moins à les ajourner. Le libéralisme