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Le sujet d’abord y est bien circonscrit, et l’ouvrage ne remonte pas trop haut. C’est un grand mérite, aujourd’hui surtout, car il y a des écrivains qui ont tellement la manie d’être complets que, lorsqu’ils veulent faire l’histoire d’un pays, ils parlent d’abord de sa formation géologique, et remontent plus haut que la création de l’homme. C’est une grâce qu’ils nous font que de vouloir bien descendre au déluge. Pour M. Trognon, l’histoire de France ne commence qu’avec l’arrivée des Francs. Après quelques pages très fermement écrites sur les transformations du régime municipal en Gaule à cette époque et les conséquences de l’établissement du christianisme, M. Trognon se jette résolument dans le tumulte des invasions et au milieu de cette mêlée confuse d’événemens sans importance qui composent l’histoire des fils de Clovis. Cette partie est très sagement traitée, et les faits y sont racontés avec toute la netteté que le sujet comporte. Ce n’est pas sa faute, si elle n’est pas plus intéressante, et il faut s’en prendre à l’époque même plus qu’à celui qui la raconte. Si Augustin Thierry est parvenu à faire lire avec tant d’agrément ses récits des temps mérovingiens, c’est que, par la facilité du plan qu’il s’était tracé, il pouvait ne prendre que quelques épisodes de cette histoire, choisir ceux qui lui semblaient pouvoir intéresser le public, et surtout les raconter en détail, car ce sont les détails qui donnent la vie à un récit. Mais quand on n’écrit qu’un résumé et qu’on est forcé de s’en tenir aux choses importantes, quand, par la loi même de son ouvrage, on s’impose le devoir de renoncer à mentionner ces petits faits qui peignent les hommes et les époques, il faut bien s’attendre à une peinture moins vivante, à un ouvrage moins attrayant. Est-il possible d’ailleurs de prendre un intérêt bien vif à des temps si peu semblables aux nôtres, et quelle sympathie peut nous attacher à des personnages qui n’ont rien de nos passions ni de nos mœurs ? Ce passé de la France n’appartient pas à la France même ; toute cette barbarie nous est étrangère, et il ne nous semble pas qu’aucun des élémens qui constituent notre société soit venu de là.

La France d’aujourd’hui ne commence véritablement qu’avec la langue française, c’est-à-dire vers le XIe siècle, à l’avènement de la troisième race. Dès ce moment, nous nous reconnaissons dans le passé, et nous démêlons dans les personnages qui occupent la scène les traits de notre caractère national. Cependant entre eux et nous il y a encore de grandes différences. Notre société est sortie de celle du moyen âge, mais en la reniant ; les croisades et la chevalerie sont assurément de belles choses, mais ce sont des choses bien mortes. M. Trognon n’essaie pas de les ressusciter ; il n’a pas pour le moyen âge cette passion aveugle qu’on a quelquefois essayé de nous inspirer, et qui, Dieu merci, passe de mode. Il n’en dissimule pas les côtés faibles en même temps qu’il en dépeint avec plaisir les beaux momens. Un de ses récits les plus agréables à lire est celui du règne de saint louis. On voit que cette douce et sereine figure lui plaît, et qu’il veut la