accru ; ceux que la foule semblait avoir adoptés de préférence ont même perdu un peu, si ce n’est beaucoup, de leur prestige. Est-ce l’heure de la justice qui est arrivée ou celle de l’indifférence ? Les uns ont cessé de vivre, les autres ne donnent plus que de la prose ou de faibles vers ; leur génie est plus loin de nous, et la médiocrité est plus près, comme une marée montante qui menace de tout recouvrir. Les reproches de la critique d’alors passeraient au-dessus de la tête des rimeurs actuels. Aujourd’hui le mauvais et l’absurde le cèdent encore à l’insignifiance des élucubrations poétiques.
Mais il faut laisser le dédain absolu aux esprits que n’intéresseront jamais les destinées de la poésie : si tant d’œuvres avortées nous fatiguent, tâchons du moins d’en faire notre profit par quelque côté. Rien n’abâtardit les esprits comme le spectacle perpétuel du médiocre. Mieux vaudraient certes les folles hardiesses d’un autre temps : parfois, au milieu du plus détestable chaos, perçait un éclair de talent. Le mauvais n’est-il pas d’ailleurs, en mainte occasion, l’envers du talent même ? Mais quelle triste chose quand il n’est que la doublure du médiocre ! Une telle misère rend plus rigoureux les devoirs de la critique, chargée de la défense du beau et du vrai ; c’est là-dessus que nous voudrions arrêter un instant l’attention du public. Au point où nous sommes parvenus, le médiocre même et le mauvais peuvent indiquer la voie qu’il faut prendre en montrant celle qu’il ne faut pas suivre, et leur présence en toute chose, grave symptôme de la débilité des esprits, réclame un remède énergique.
Plus d’un va répétant que la critique ne sert de rien. C’est là une erreur étrange. Sans compter que la critique rappelle au souci d’eux-mêmes et du bon sens les écrivains de mérite égarés, pour peu qu’ils aient de bonne foi, et encore bien qu’ils refusent d’en convenir, elle instruit le public et ne fait pas de ce côté une besogne inutile. Lorsque le talent domine, c’est assez de le discuter et de l’apprécier ; lorsqu’il est absent, il importe d’en provoquer le retour par un appel sévère au goût du public, de ce public qui est précisément la foule cultivée d’où sortent les écrivains et les poètes. Si vous êtes juste, et dur au besoin, vous découragerez une partie de ceux qui ne devraient pas écrire, et quant aux esprits qui ont en eux un germe de talent, vous les empêcherez de gaspiller ce germe par une indulgence prématurée pour eux-mêmes ; vous leur imposerez, par le fait seul de votre critique lue, méditée, acceptée bon gré, mal gré (puisque nous la supposons équitable), un frein et une discipline.
Mais que de patience exige cette revue du médiocre ! C’est toujours le même écho de M. de Lamartine, le plus imité et le plus imitable de nos poètes modernes ; c’est toujours la même protestation de modestie, que dément la publication du livre, et que dément encore l’inévitable exegi monumentum par lequel l’auteur se console à l’avance des attaques de la critique, insensible aux accens de sa muse. C’est toujours le même certificat