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ler l’injustice générale que vous commettez à leur égard : vous les traduisez devant un public ignorant, qui du moins ne connaît point l’ensemble de leurs travaux ; vous exposez à ce public des phrases détachées, des lambeaux d’idées qui, isolées du milieu où elles, se sont produites, perdent leur signification réelle, et prennent l’aspect d’assertions arbitraires et étranges ; vous omettez entièrement les méthodes scientifique ou philosophique par lesquelles les écrivains que vous voudriez combattre sont arrivés aux résultats réprouvés par vous, méthodes qui seraient, au moins devant un public prévenu et hostile la justification de la bonne foi de ces écrivains. Notre temps ne peut accepter de tels procédés, même de la part d’un évêque. La sortie de M. Dupanloup contre les représentans de l’école critique en France n’est point sans analogie avec le soulèvement qu’excita, il y a deux ans, dans l’épiscopat anglais, la publication des Essays and Reviews. Les auteurs de ce volume appartenaient, eux aussi, à l’école critique : ils étaient loin sans doute d’aller jusqu’aux hardiesses que M. Dupanloup reproche à l’école française ; ils appliquaient avec mesure la critique à l’exégèse des livres saints. Membres de l’église, professeurs des universités, ils relevaient directement de l’autorité épiscopale, et cette autorité ne leur a point épargné ses sévérités. Cependant on ne s’est pas contenté de les condamner, on les a du moins discutés. Une foule de réfutations méthodiques ont été publiées contre leur ouvrage. Un des membres les plus éminens et les plus éloquens de l’épiscopat anglais, l’évêque d’Oxford, n’a pas craint de se mesurer lui-même avec les auteurs des Essays and Reviews. Nous n’eussions eu rien à dire, si M. Dupanloup eût suivi cet exemple, qui demeure pour lui un enseignement. La discussion ainsi entamée n’eût sans doute point amolli la vigueur de M. Dupanloup ; mais elle l’eût rendu plus juste. Quand on examine ces grandes méthodes par lesquelles l’esprit humain fait effort pour repousser les limites de son ignorance et arriver à la vérité, il est d’ailleurs impossible de ne pas éprouver un sympathique respect pour ces nobles et laborieuses tentatives et pour ceux qui ont assez de résolution et d’énergie pour les entreprendre et les mener à bout. On sent que ces hommes méritent autre chose qu’un dédain superficiel et de violentes invectives, et qu’on n’en a point raison à aussi bon marché. Pour ne prendre que les écoles qui excitent la colère de M. Dupanloup, pour peu qu’on en ait observé les travaux et qu’on en ait aperçu la portée, on voit vite qu’elles méritent autre chose que le mépris. La philosophie allemande a été un des plus puissans efforts de l’esprit humain ; tandis qu’elle parvenait à ses conclusions par la méthode transcendantale, en France Auguste Comte, en appliquant la méthode d’induction aux sciences historiques, politiques et sociales, et en faisant en quelque sorte la contre-partie de l’école allemande, arrivait à des résultats concordans. C’est une chose curieuse que les esprits scientifiques qui ont été les plus initiés aux travaux de l’école allemande aient