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fait quelquefois à l’égard de cette politique ce qu’avant la note du Moniteur nous n’eussions pas craint d’appeler acte d’indépendance. Au surplus, que le parti du gouvernement se décerne à lui-même les noms les plus magnifiques, l’opposition ne s’en plaindra pas : elle ne demande qu’à savoir comment il lui sera permis de se désigner. Sera-t-elle réduite, comme Ulysse dans l’antre de Polyphème, à s’appeler Personne ? Obligée d’employer des précautions de langage dont eût rougi la France de Mirabeau, elle recevra volontiers de la part de ses adversaires le baptême d’une épithète, même quand cette épithète aurait dans leur pensée une signification blessante. Elle est au-dessus des puériles taquineries de mots. Elle sait que tel nom lancé à une cause par ses ennemis comme une injure est souvent devenu pour elle un cri de ralliement et de victoire. La Hollande a eu ses gueux, la France a eu ses sans-culottes. Les deux grands partis anglais, les whigs et les tories, ont accepté comme leurs noms définitifs et historiques les qualifications méprisantes qu’ils s’envoyaient l’un à l’autre il y a deux siècles.

Ainsi s’annoncent, avant même que la lutte électorale soit commencée, les obstacles que doit y rencontrer la liberté de discussion. M. le président du conseil d’état a, d’un autre côté, franchement déclaré à la chambre que le gouvernement suivrait dans les élections de 1863 la politique qui lui a si bien réussi dans les élections de 1852 et de 1857. L’influence administrative ne s’imposera donc aucune limite ; l’administration mettra au service de ses candidats tout l’ascendant de son autorité et tout le zèle de ses agens. C’est en vain que la plus superficielle étude de la constitution démontre qu’une telle politique est contraire à l’esprit du suffrage universel, et que, comme le dit très bien M. Proudhon, le grand élu ne doit pas être le grand électeur. La théorie de la constitution de 1852 commence à peine à être étudiée parmi nous ; elle est encore mal connue et peu comprise. La théorie des constitutions n’entre qu’à de rares occasions dans l’esprit des masses. En ces circonstances, nous ne voulons point suivre M. Proudhon dans ses extrémités logiques, et prescrire l’abstention à la démocratie libérale jusqu’à ce que la pratique de la constitution ait été mise d’accord avec son esprit. Nous devons saluer, quelque part qu’il se produise, le réveil de l’esprit libéral, et nous devons aider à ses manifestations. L’abstention de M. Proudhon n’est qu’une protestation négative, et il ne faut point se refuser le bénéfice des protestations positives, si rares et si partielles qu’elles puissent être. Le devoir de l’opposition est sévère, et ne peut même pas être adouci par l’espoir d’un succès important et prochain. Nous ne devons pas nous lasser de constater les contradictions qui existent entre l’esprit et la pratique de la constitution, de prendre acte des mesures restrictives adoptées par le pouvoir à l’égard de la liberté, de rappeler au pays que lui seul, par une initiative soudaine et générale, peut mettre fin à ce système contradictoire et restrictif le jour où il voudra bien en sentir