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C’est également M. Gratiolet qui a reconnu que, même pendant l’état fœtal, le cerveau des hommes ne ressemble jamais complètement à celui des singes. Les plis ou circonvolutions pendant cette phase obscure de la vie n’apparaissent pas chez les uns et les autres dans un ordre identique ; l’encéphale humain diffère à toutes les époques de celui des mammifères adultes, aussi bien que de celui des mammifères en voie de développement. On en peut bien juger, grâce aux beaux dessins de l’atlas qui accompagne le deuxième volume de l’Anatomie comparée du système nerveux, par MM. Lauret et Gratiolet, ouvrage qui restera comme un des plus beaux monumens de la science moderne. On y peut voir, et les yeux dans cette circonstance donnent des phénomènes une idée bien plus saisissante que d’arides descriptions, que les nains eux-mêmes, ces microcéphales humains, demeurent toujours des hommes, et ne sont jamais des singes. Le simple fait que les simiens les plus gigantesques n’ont jamais un cerveau plus grand que les enfans nouveau-nés est assez éloquent ; mais l’anatomie relève bien d’autres différences. Toutes les nuances qu’elle signale méritent assurément d’être notées : les moindres détails ont de la valeur quand il s’agit de l’organe qui est l’instrument de toutes les opérations psychiques ; nusquam magis quam in minimis tota est natura. La véritable échelle nous manque pour mesurer les degrés de l’organisation : aussi n’est-ce qu’avec réserve qu’on peut accepter les déclarations de M. Huxley quand il affirme que l’homme diffère moins du chimpanzé et de l’orang que ces animaux eux-mêmes diffèrent des autres singes. Qu’il s’agisse d’un caractère anatomique ou d’un autre, de l’ostéologie du pied ou de la structure cérébrale, c’est toujours à cette conclusion que l’on est poussé par M. Huxley. Toutefois, s’il place l’homme et les singes au même niveau anatomique, il les sépare par l’abîme du raisonnement. Il ne faut point, suivant lui, rendre la pensée entièrement dépendante des phénomènes de l’organisation : le cerveau d’un sourd-muet, d’un idiot peut ressembler à celui d’un homme de génie ; mais l’un est comme une montre dont le grand ressort est cassé, l’autre est une montre en marche. Les deux montres sont semblables ; mais un cheveu dans une roue, un grain de rouille sur un pignon, une dent déformée, quelque chose de si imperceptible que l’œil de l’horloger a peine à le découvrir, arrêtera dans l’une tout mouvement. « Croyant avec Cuvier, écrit M. Huxley, que la possession du langage articulé-est le grand trait distinctif de l’homme, je trouve très facile à comprendre qu’une différence de structure à peine discernable ait pu être la cause première de la divergence incommensurable et pratiquement infinie des hommes et des singes. »