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démontrer que la France n’a pas le privilège des haches antédiluviennes. Les explorateurs se sont mis partout en campagne. Citerai-je tous les endroits où l’on a trouvé des armes primitives : la vallée de la Lark dans le Suffolk, la vallée de l’Ouse dans le Bedfordshire, le Kent, le Surrey, le Middlesex ? Il ne faudrait point décourager le zèle qui s’attache à la recherche de ces précieux débris ; toutefois un grand nombre n’ont été recueillis que dans des dépôts tout à fait superficiels. Pour établir la contemporanéité de l’homme avec les mammifères éteints, il faut que les restes de son art primitif puissent être trouvés in situ, mêlés aux ossemens de ces animaux, dans un terrain vierge. La multiplicité des silex taillés trouvés en dehors de semblables gisemens serait bien plus propre à infirmer qu’à fortifier les inductions fondées sur la première découverte de ces instrumens.

Les plus sceptiques admettent aujourd’hui que les silex recueillis en si grand nombre par M. Boucher de Perthes doivent leur forme et leur tranchant à une main humaine : les ouvriers ont fait eux-mêmes un grand nombre de ces langues de chat pour les vendre aux géologues ; mais les silex authentiques ont, comme les vieilles médailles, la patine du temps, et beaucoup sont couverts de dendrites ferrugineuses, ramifications délicates que les infiltrations lentes peuvent seules produire. Néanmoins, tout en reconnaissant la vraie nature de ces silex, que ne reste-t-il pas à dire pour en contester l’ancienneté géologique ? Comment expliquer que tant de silex, on les compte par milliers, aient été trouvés au même point dans la vallée de la Somme ? Voici ce que sir Charles Lyell hasarde à ce sujet : « supposons qu’à l’époque où les haches furent enfouies en si grand nombre dans les graviers qui forment maintenant la terrasse de Saint-Acheul, la rivière principale et ses tributaires fussent gelés pendant plusieurs mois de l’hiver. Dans ce cas, le peuple primitif a pu, comme l’insinue M. Prestwich, ressembler dans ses habitudes aux Indiens d’Amérique qui habitent maintenant la contrée située entre la baie d’Hudson et la mer polaire. Quand le renne et le gibier deviennent rares, ils pèchent dans les rivières, et dans cette intention comme aussi pour obtenir de l’eau potable, ils font toujours des trous circulaires dans la glace, par où ils jettent leurs hameçons ou leurs filets. Souvent ils mettent leur tente sur la glace et y pratiquent des ouvertures avec des ciseaux de métal, quand ils peuvent obtenir du cuivre ou du fer, et à défaut de ciseaux avec des instrumens en silex. » Les amas actuels de silex indiqueraient ainsi d’anciennes stations de pêche.

M. Scipion Gras, ingénieur des mines, qui ne croit pas à l’origine antédiluvienne des haches taillées, a fait une autre hypothèse pour expliquer l’accumulation des haches taillées. « Plaçons, dit-il, à