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des haches et des coins en silex et en jade, et possédaient de l’ambre, qui sans doute leur était apporté des bords de la mer Baltique. À Wangen, sur le lac de Constance, était un village d’au moins mille habitans, bâti sur plus de quarante mille pilotis ; on y employait des armes et des ustensiles en serpentine, en diorite et en quartz ; on savait feutrer grossièrement le chanvre, on cultivait jusqu’à trois céréales, et l’on avait déjà réduit à la domesticité le chien, le bœuf, le mouton et la chèvre.

Autour des pilotis de l’âge de pierre reste une innombrable quantité d’ossemens qui ont servi à en reconstituer la faune. Le professeur Rütimeyer de Bâle s’est acquitté en 1862 de cette tâche avec un soin digne des plus grands éloges. Il a montré que la faune de l’âge de pierre ne différait pas de celle que plus tard Jules César trouva dans la Gaule ; avec vingt-huit espèces de mammifères aujourd’hui, encore répandus dans nos latitudes, elle comprenait le bœuf sauvage (bos primigenius), cet animal que César dépeint comme si agile, si farouche et d’une taille si colossale, l’aurochs, qu’un caprice des empereurs de Russie conserve encore dans les vastes forêts lithuaniennes, et l’élan, qui a émigré vers des latitudes polaires. Le peuple qui habitait la Suisse pendant l’âge de pierre avait déjà, je l’ai dit, plusieurs animaux domestiques, le bœuf, la chèvre, le mouton et le chien ; bien qu’adonné à certaines occupations agricoles, il vivait principalement de chasse, et le renard paraît avoir été un de ses gibiers favoris. En revanche, on trouve peu de restes de lièvres autour de ses habitations ; cet animal était peut-être dès lors protégé par une superstition que César trouva encore vivante parmi les habitans de la Grande-Bretagne. Les os des ours, des cerfs, du bœuf sauvage, du chevreuil, du chamois, recueillis autour des anciens pilotis, sont tous brisés ; les chasseurs en suçaient sans doute la moelle, et l’on se demande avec surprise comment seuls ou avec des chiens de petite taille, à pied, car le cheval ne fut apprivoisé que pendant la période de bronze, armés de simples pierres, ils pouvaient venir à bout d’animaux aussi redoutables ou aussi agiles.

L’âge de la pierre polie a également laissé une trace dans les tourbes du Danemark. Des tribus de pêcheurs vivaient sur les côtes de la Baltique, et rejetaient les coquilles des mollusques qui leur servaient de nourriture sur des tas que le temps a respectés (kjökken-mödding)[1]. Dans quelques-unes de ces accumulations, qui ont de trois à dix pieds de hauteur et qui couvrent parfois des espaces immenses, on a trouvé des couteaux et des coins de silex. Le bœuf sauvage parcourait les plaines danoises comme les régions alpines ;

  1. Voyez sur les fouilles entreprises en Danemark la Revue du 1er novembre 1862.