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avec ses fins avouées, avec son étiquette. Que si le mandat ne monte pas à cette hauteur où l’attendent les saines influences, il tombe au plus bas de sa nature et de ses misères, surtout chez le peuple dont nous parlons, commercial, hasardeux, spéculateur, actionnaire comme on ne l’est pas, où tel placement est un coup de dé, qui prêta des millions, il y a quarante ans, aux caciques du Poyais et de l’Orénoque, dont le propre est de jouer sans tenir les cartes. Comparez donc l’intérêt passionné du citoyen anglais dans la chose publique au degré d’intérêt que l’actionnaire anglais peut apporter dans une société de chemin de fer ! cette chose brûlante et capitale à cette chose accessoire ! Vous aurez beau mettre dans celle-ci les formes politiques, vous n’y mettrez jamais l’âme politique, la seule qui transfigure un mandataire.

Ainsi le mandat ne s’élève qu’avec son objet, et encore faut-il que ce soit le plus grand des objets, pas moins que la chose publique. Rien ne prouve qu’il s’acquitte à son honneur d’une gestion locale : le passé ne nous dit rien qui vaille à cet égard. Nous avons aujourd’hui les mémoires de tel intendant qui s’employa sous Colbert à la liquidation des dettes des communautés, et l’on y voit d’étranges précautions pour mener à bien cette grande affaire, qui ne dura pas moins de vingt ans. Il fallut interdire aux échevins, capitouls, consuls ou jurats de toucher au prix des immeubles que les communes vendraient pour se libérer, étant d’expérience que si ces deniers passaient par les mains municipales, ils n’en sortiraient pas. Une autre inadvertance familière à ces échevins était de s’approprier ce que l’état remboursait aux communes pour logemens militaires. Après cela, c’est à peine si l’on peut parler de leurs voyages d’agrément dans la capitale, aux frais de leur commune, sous prétexte de solliciter ses affaires[1].

Quand telles sont parmi nous les traditions du pouvoir municipal, il ne faut pas s’étonner qu’on l’ait reconstitué en toute occasion, même en 89, même en 1830, même en 1848, sur la base d’une précaution et d’une méfiance incurable. Estimez et admirez, si bon vous semble, les hommes, les femmes, les départemens, les clochers. La confiance est un sentiment doux au cœur ; mais il n’en faut pas moins agir comme si l’on se méfiait : cette règle est sans exception. La loi surtout n’est que méfiance, et la loi politique plus qu’aucune autre, présumant toujours l’abus, la violation de ce dépôt mis entre les mains des gouvernans sous le nom de fortune et de puissance publique, plaçant partout le contrôle au-dessus de la fonction publique, la garantie à côté du droit privé. Pourquoi donc le législateur,

  1. Voyez les mémoires de l’intendant Foucault, avec introduction de M. Baudry.