Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’équilibre ou la hiérarchie des pouvoirs pour mettre dans les affaires humaines, autant que le comportent les limites humaines, cette souveraineté de la raison qui est la seule légitime, comme disent les doctrinaires, dont cette doctrine est le plus beau titre. C’est là le fond de tout gouvernement, l’organisme vital dont ne peuvent se passer les corps politiques. Vous ne sauriez y déroger pour les communes, parce qu’elles ont des immeubles à elles, un certain isolement, des besoins et des charges qui leur sont propres, lesquels figurent une individualité, quelque chose d’existant par soi-même.

Il nous reste à considérer la commune sous ce point de vue. C’est un individu, soit : ce n’est pas à dire qu’elle puisse traiter ses affaires et régler ses intérêts avec l’indépendance qui caractérise chacun de nous, avec ces façons directes et absolues dont nous gouvernons nos ventes, nos procès, nos constructions, nos emprunts, tout ce qui regarde notre métier, notre industrie, notre foi, nos droits paternels en fait d’éducation. C’est qu’au fond la commune n’est pas un individu, mais un groupe, un multiple, un composé de membres et de parties qui ont chacun des intérêts distincts, avec cette particularité que chaque intérêt constitue un droit. Ici éclate la différence qui sépare l’individu communal de l’individu en chair et en os. Celui-ci a des droits naturels et inviolables qu’il exerce comme bon lui semble, sous l’unique réserve du droit d’autrui à respecter. J’ai dit du droit et non de l’intérêt ; il n’est pas défendu à l’homme de blesser l’intérêt des autres hommes en exerçant son droit, en manifestant sa supériorité, ce qui est le fait de la concurrence industrielle, et plus généralement de la compétition qui est ouverte un peu partout. Il est très permis, je suppose, d’élever boutique contre boutique, et ce cas, où le dommage est sensible, ne laisse pas que d’être légitime. Or à cet égard la commune n’a rien d’un individu, sa puissance est inférieure à la puissance privée, car en toutes mesures communales blesser un intérêt, c’est blesser un droit, le droit que tire chacun de son concours financier et obligatoire à ces mesures, le droit du contribuable.

Une commune ne peut donc prétendre à l’irresponsabilité, parce que nul pouvoir n’y peut prétendre. Il ne lui est pas plus permis de se comporter en individu maître absolu de ses affaires, parce qu’elle n’est pas un individu, parce qu’elle se compose d’intérêts divers, respectables chacun comme un droit. Il s’ensuit que la commune est, au plus bas dans l’échelle des êtres, — sujette comme chacun de nous aux lois civiles, criminelles et fiscales de la communauté, qu’elle ne peut enfreindre ni déserter, — sujette en outre à une discipline toute particulière, qui est pour empêcher le sacrifice, l’oppression d’aucun intérêt parmi tous ces intérêts qui la composent et