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que, si l’opinion a des voix légales et sonores comme la tribune, comme la presse, elle fera moins de révolutions avec ce bruit et cet éclat qui la révèlent que si elle est réduite à se laisser entrevoir et deviner comme au siècle dernier.

Il ne faut pas oublier d’ailleurs, en nous apitoyant sur nous-mêmes et sur les révolutions qui nous visitent aujourd’hui, que l’ancien régime avait ses guerres civiles. Cela durait encore au milieu du XVIIe siècle, que dis-je ? à la fin même du grand siècle, dans les Cévennes, où Villars ne fut pas de trop pour terminer dix-neuf ans de guerre civile. On peut discuter sur la valeur respective des deux fléaux ; un esprit impartial les tiendrait peut-être pour équivalens, ce qui est reconnaître la supériorité de la société moderne, dès que, sur un fond meilleur, celui du droit commun et du droit national, elle n’offre pas de pires accidens que la société d’autrefois.

Vous n’êtes pas convaincu, vous songez peut-être à ce qui s’est passé en 1848, après trente-trois ans d’un régime qui avait toutes les apparences de vie et d’acclimatation, alors que la période d’épreuve dont nous parlions tout à l’heure semblait heureusement franchie. Peine perdue, direz-vous : cet appareil parlementaire qui semblait défier et désintéresser les révolutions s’écroula en un jour sous les coups d’une révolution… La vérité est qu’il périt par hasard, et le hasard ne se prévoit pas, ne se calcule pas, il fait irruption partout. Il ne faut pas dire pour cela que ce régime commence et continue par les révolutions, qu’il en est vicié dans son essence, harcelé dans sa marche comme à ses débuts : il faut voir seulement qu’il y a des choses fortuites dans l’histoire. La chute dont nous parlons en est un insigne exemple. Ce n’est pas que le gouvernement tombé fût sans reproche. Il avait une manière à lui d’entendre la politique extérieure. Cependant on ne peut pas dire qu’il prît le chemin de l’abîme où il s’est perdu : il avait sa grandeur, vivant comme il faisait avec le pays, à l’épreuve et au feu de toutes les attaques, sans pour cela le dégrader ni le violenter d’arbitraire, admettant d’ailleurs et portant toujours en lui de quoi se redresser un jour à la voix du pays. Je ne vais pas énumérer et détailler tout le hasard qui s’est accumulé à cette prodigieuse époque : je veux seulement dire que le hasard a ses droits, qui sont ceux de la liberté humaine. Il peut bien y avoir du hasard dans les événemens, puisqu’il y a de la fantaisie en nous, et, remarquons-le bien, une fantaisie qui doit être efficace jusqu’à un certain point : il y va de la dignité humaine ; l’homme ne serait plus un être moral, sujet à mérite et démérite, s’il n’était donné qu’à sa sagesse de fructifier, s’il était puni de sa déraison et de ses caprices par une impuissance