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des gouverneurs de province ? Il y en a un exemple frappant à cette époque même, le code Michaud, avec ses règles démocratiques sur l’avancement militaire, tombé en désuétude dès sa naissance. Ici pourtant le cas est tout autre. La chose dite est chose faite, et même avec acclamation : les coups suivent la menace et pleuvent de toutes mains. Quand Richelieu envoya l’intendant Machault dans le Languedoc exécuter ses édits et raser les donjons, celui-ci trouva des auxiliaires partout. « Chacun courut à sa haine, dit un de nos historiens, les campagnes aux châteaux, les villes aux citadelles. »

Peu après, la noblesse vit tomber sous le coup des mesures ou sous la concurrence des créatures royales ses deux privilèges constitutifs, celui de commander les armées et celui de ne pas payer l’impôt. Sa dernière réclamation se fit entendre aux états-généraux de 1614 : une plainte amère contre la création des offices, parce que c’était vendre la puissance publique, laquelle appartenait de droit à la noblesse, et parce que certains offices conféraient l’ennoblissement. On n’en vit pas moins, pendant toute cette époque, un avènement d’hommes nouveaux, une ascension du tiers-état qui ne le cède guère à ce que nous avons vu de nos jours. La seule nuance à noter, c’est que l’ennoblissement était toujours la condition, quelquefois préalable, plus souvent ultérieure de ce progrès. L’état faisait alors moins de façon avec les privilèges authentiques et séculaires de la noblesse qu’il n’en fait aujourd’hui avec les privilèges de telle compagnie de notaires ou d’agens de change qui est d’hier, qui aurait besoin d’être accrue dans son personnel pour les nécessités du public, mais à laquelle il n’a garde de toucher. Quant à l’immunité fiscale, on sait que les vingtièmes, vers la fin du XVIIe siècle, furent imposés à tous, nobles ou roturiers.

Ainsi procédaient les derniers Bourbons, niveleurs s’il en fut, fondateurs de droit commun et d’égalité, précurseurs de 89 ; il ne leur restait plus qu’à tomber.

Dans cette grande destruction de l’ancienne société, où ils s’employèrent avec tant de zèle, un seul pouvoir nous apparaît, se conservant mieux que les autres : c’est le parlement, soit par la nécessité de sa fonction, soit que l’on vît dans la magistrature une dernière image de ces états-généraux qui n’étaient plus convoqués, soit plutôt parce que cette caste, la dernière en date, était au XVIIIe siècle en voie de formation et dans sa force ascendante. Ceci mérite en effet quelque considération. Au XVIIe siècle encore, un fils de marchand pouvait acheter une charge au parlement, comme fit le père de Fouquet ; mais cent ans plus tard le parlement ne se recrutait que parmi les parlementaires. Il avait la sève de tout ce qui grandit : la croyance en soi-même, l’ardeur aux conflits, la fermeté des ressentimens,