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de retourner de quelques siècles en arrière, aux places de sûreté, aux chambres mi-parties, aux apanages et aux gouvernemens de province ? Alors prenez votre parti de refaire tout l’ancien régime, dont vous ne pouvez restaurer les forces sans les abus ; brisez l’unité des lois françaises ; abdiquez le droit "commun ; ressuscitez les forces qui divisaient l’ancienne France. Cela fait, il ne vous manquera plus que les droits individuels et le droit national, pour le salut desquels vous faites cela : quand vous aurez les garanties, les choses à garantir vous auront quitté par cela même, car vous ne songez pas sûrement à une telle contradiction que de retenir l’égalité devant la loi, et de ranimer en même temps les forces qui n’existaient qu’à la condition du privilège, de l’inégalité.

Il faut opter entre les forces d’autrefois et les biens d’aujourd’hui. À ce propos, je vous prie instamment de remarquer que ces forces d’autrefois étaient médiocres, qu’elles ont découvert et trahi tous les droits qui s’y appuyaient, ecclésiastiques, nobiliaires ou parlementaires : nulle histoire n’est plus authentique. L’église elle-même y a son rôle de victime : Louis XIV la viola dans ses biens quand il lui plut de s’attribuer les revenus des abbayes, prieurés, évêchés, qui se trouvaient vacans, et qu’il ne tenait qu’à lui de laisser vaquer ; c’était ce qu’on appelait le droit de régale. Il y eut même à ce sujet tel évêque poursuivi, exilé, condamné à la peine capitale par le parlement de Toulouse[1]. Les protestans ne purent tenir derrière les murailles de La Rochelle et de Montauban, qui leur appartenaient, ni la fronde à Bordeaux, où elle s’était réfugiée dans la personne d’une héroïne.

À propos de murailles, il y eut un temps, qui durait encore au commencement du XVIIe siècle, où la France était couverte de forteresses féodales et municipales. Noblesse et communes avaient leurs remparts, leurs garnisons, et se gardaient militairement, ainsi qu’il appartient à des personnages qui se piquent de souveraineté ; mais Richelieu en eut bientôt fait des ruines. Il leur déclara tout d’abord une guerre d’édits, de voies de fait, et même d’opinion. Guerre aux châteaux ! c’est à peu près ce que criait « la déclaration du 31 juillet 1626 pour le rasement des villes, châteaux et forteresses non situés sur la frontière. » Voilà qui est étrange, et le premier mouvement est de n’y rien comprendre ou même de n’y pas croire. Ne serait-ce pas là une de ces vaines ordonnances, comme il n’en manque pas sous l’ancien régime, où le roi n’était obéi que quand il le voulait et le témoignait absolument, ce qui ne lui arrivait pas toujours, — et qui restaient lettre morte devant l’inertie des parlemens, du clergé,

  1. Voyez les mémoires de l’intendant Foucault.