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pour supporter ce majestueux ensemble de droits privés, locaux et publics. Tel est le véritable rempart des citoyens et du parlement, des libertés individuelles et de la liberté politique. S’il plaisait par hasard à la reine d’Angleterre de licencier le parlement et de gouverner comme Catherine la Grande, elle échouerait, je suppose ; mais il faut voir comment, ou plutôt devant quel obstacle : il. faut se rappeler que la reine d’Angleterre dispose absolument de la force armée, tout comme un tsar, et que le parlement est sans action sur cette force. Vous me direz qu’il y a dans ce pays des communes, des localités souveraines ! Peut-être ; en tout cas, ces communes n’ont ni murailles ni garnisons. Vous songez sans doute aux comtés où se trouvent une police, une milice aux ordres des juges de paix et des lords-lieutenans ; mais la couronne peut révoquer ces magistrats et en chercher d’autres qui soient à sa dévotion.

Il ne se rencontre donc nulle part une force régulière, un organe attitré pour avoir raison d’une fantaisie despotique, comme celle que nous avons supposée. Bien entendu que cette fantaisie périrait misérablement. Les chefs de l’armée n’obéiraient pas ; l’aristocratie, dépossédée de ses fonctions locales, les garderait ; en tout cas, ces fonctions ne trouveraient pas de preneurs. Finalement la souveraine perdrait la couronne, convaincue d’avoir perdu la tête ; mais dans toute cette aventure je vous défie bien de voir autre chose que la puissance de l’opinion. Le fait est que ce pays, d’une liberté fameuse, ne s’est pas réservé de force expresse, de garde ni de citadelle pour défendre ses droits : il n’a pas dispersé la souveraineté, toutes les forces, de l’état sont à leur place, c’est-à-dire dans une seule main ; mais l’opinion est à son poste, le sentiment du droit national est partout comme le sol, comme l’atmosphère, une condition de vie. C’est là-dessus qu’il faudrait passer pour atteindre les droits du pays, et cet obstacle est invincible.

Ainsi les forces particulières qui composaient l’ancienne société ou plutôt qui gardaient les privilèges d’autrefois ont péri partout ; elles ont péri en France plus expressément, plus visiblement que partout ailleurs : voilà toute la différence ; les débris même en ont disparu parmi nous. À la place de ces forces et pour l’œuvre qu’elles faisaient a paru l’opinion publique, remplaçant l’esprit de corps au même titre que le droit commun remplaçait le privilège, et que les services publics succédaient aux castes. Un seul droit, un seul peuple, un seul état sous le gouvernement de la nation souveraine, voilà où nous en sommes. Et tout cela doit durer par la force des idées qui l’ont créé, ou rien ne le fera durer.

De nos jours, quand l’opinion ne suffit pas à défendre un droit, rien n’y suffit. Cette force vous paraît-elle insuffisante ? Vous plairait-il