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Quel peut être l’objet d’une loi sur la chasse ? C’est, on vient de le dire, la protection du gibier ; mais pourquoi cette protection ? En quoi le gibier mérite-t-il d’attirer sur lui l’attention du législateur et de mettre en mouvement la force publique ? On ne peut voir à une semblable exception que deux motifs, quelque peu plausibles, car la question fiscale du permis de chasse est trop insignifiante pour entrer en ligne de compte[1]. Ces deux motifs sont l’agrément des chasseurs et l’approvisionnement de, nos marchés en gibier. Quant au premier, on avouera que c’est de la part du gouvernement prendre un bien grand souci pour un bien petit résultat, surtout si l’on songe à ce que l’exécution de cette loi provoque d’arrêtés et de circulaires pour, ouvrir ou fermer la chasse, pour la permettre ou la défendre en temps de neige, pour distinguer les animaux nuisibles de ceux qui ne le sont pas. C’est tout un monde de gendarmes, de maires et de gardes champêtres qu’elle met en mouvement. Que l’on réfléchisse encore aux haines qu’accumule cette loi, aux amendes qu’elle fait encourir, aux crimes dont elle est l’occasion ; qu’on remarque aussi combien elle est vexatoire dans ses mesures contre le colportage, en défendant même la vente du gibier provenant des propriétés closes, et l’on sera bien en droit de se demander si le plaisir de deux cent mille ou trois cent mille individus est en réalité une question, d’ordre public d’une si grande importance. Y a-t-il là en effet quelque chose qui mérite d’être encouragé ? Si la chasse a pour beaucoup de personnes, je dirai presque pour tout le monde, un si grand attrait, ce n’est pas, comme on l’a prétendu, à cause de l’imprévu qu’elle présente, et de l’occasion, trop rare, hélas ! qu’elle nous donne d’exercer notre volonté et notre activité : c’est tout simplement parce qu’elle réveille en nous l’instinct de la vie sauvage et aventureuse qu’ont menée nos pères. Il se produit dans ce cas en nous quelque chose d’analogue aux phénomènes de réversion en histoire naturelle, où l’on voit pendant de longues générations les individus issus d’une souche commune tendre toujours à reprendre les caractères principaux de leurs ancêtres. Est-il bien utile d’entretenir chez nous des habitudes de violence qui rappellent l’enfance de l’humanité ?

Un intérêt plus sérieux s’attacherait, à en croire quelques personnes, au maintien de la législation actuelle sur la chasse : c’est, nous l’avons dit, l’intérêt de l’alimentation publique. Assurément le

  1. Le permis de chasse ne constitue pas d’ailleurs une restriction réelle du droit de. chasse ; c’est un impôt plus ou moins bien assis, mais qu’on pourrait à la rigueur conserver. La restriction véritable consiste dans la défense faite au propriétaire de chasser chez lui certaines époques et avec les engins qui lui conviennent, et de transporter le gibier qui lui appartient.