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aujourd’hui la forêt ; il ouvrit notamment la route ronde qui décrit une espèce de circonférence dont, la ville de Fontainebleau est le centre et dont le rayon moyen est d’environ 5 kilomètres. Il fit aussi élever aux principaux rendez-vous de chasse des croix, dont quelques-unes ont subsisté jusqu’à nos jours. Louis XV compléta le système commencé. Ouvertes plutôt pour faciliter les chasses que pour assurer la vidange des bois, ces routes percent en ligne droite les massifs, escaladent les collines malgré la raideur des pentes, sans jamais dévier, et se coupent à des carrefours d’où la vue s’étend dans toutes les directions. Cette disposition permet aux veneurs de rallier la chasse quand ils se sont égarés. On retrouve ici quelques-unes de ces légendes qui rappellent la fameuse chasse de saint Hubert ou celle du roi Arthur. De vieux bûcherons vous diront à l’oreille, si votre figure leur inspire assez de confiance, que souvent pendant la nuit ils sont réveillés dans leurs cabanes par les hurlemens d’une meute furieuse et les sons retentissans des trompes. Ils voient alors à travers les arbres, au milieu des flambeaux, s’enfoncer dans les profondeurs des massifs la chasse du grand-veneur, lancée à la poursuite d’un cerf imaginaire qu’elle ne peut atteindre. Ce pauvre grand-veneur, coupable sans doute de quelque méfait envers saint Hubert, est, paraît-il, condamné à errer ainsi dans la forêt jusqu’au jugement dernier. Ces vieilles légendes, qui sont la poésie du peuple, n’ont plus guère de prise sur les générations nouvelles, dont le respect pour le surnaturel commence à s’affaiblir beaucoup. Quoi qu’en puissent penser ceux qui s’obstinent à regretter le passé, il n’y a pas à se plaindre de ce changement, car la raison et par conséquent la dignité humaine gagnent tout le terrain que perd la superstition.

Pour avoir de tout temps été consacrée à la chasse, la forêt de Fontainebleau n’en a pas moins toujours été soumise à des exploitations annuelles. Ces exploitations, à vrai dire, laissaient autrefois beaucoup à désirer et donnaient lieu à bien des abus, ainsi que le constate en 1664 M. Barillon d’Amoncourt, conseiller du roi en ses conseils, député par sa majesté pour la réformation générale des eaux et forêts au département de l’Ile-de-France, de Brie et de Perche. « Il est d’autant plus nécessaire, dit-il dans son procès-verbal, de pourvoir au rétablissement de cette forêt par un bon règlement de coupes, qu’on la pourrait dire réduite au point de sa dernière ruine. » Pour donner une idée de ce triste état, il suffira de dire que sur près de 17,000 hectares il n’y en avait alors que 6,740 de boisés, dont 5,000 environ en vieille futaie et arbres épars, et 1,740 en taillis de vingt-cinq ans et au-dessus ; le reste était couvert de bruyères et de rochers stériles. Les prescriptions du réformateur