Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’administration l’autorisation toute gratuite d’ouvrir une carrière, il s’assure du concours d’un ou deux ouvriers qui sont payés à la journée. Comme il ne faut pour être maître que posséder l’outillage nécessaire, masses, marteaux tranchans, marteaux à piquer, coins, pinces, etc. (outillage dont le prix est de 150 fr. environ), il arrive souvent que des ouvriers, associant leurs épargnes, travaillent en commun sur le pied de l’égalité. Avant d’entamer la roche, ils commencent par creuser une tranchée, qu’ils appellent forme, devant le banc de grès à attaquer, de façon à le mettre à nu sur une largeur d’une dizaine de mètres, et sur toute sa hauteur. Cela fait, ils ouvrent un chemin qui, partant du fond de la forme, aboutit a la route la plus voisine, et qui doit servir au transport des pierres. Ils se mettent alors à découper la roche en blocs plus ou moins volumineux, en y creusant avec un outil spécial des trous cylindriques dans lesquels ils enfoncent à grands coups de masse des coins de fer que chaque choc fait avancer à peine de quelques millimètres. Quand la pierre est de bonne qualité, elle se fend d’elle-même en ligne droite, et le morceau se détache naturellement du banc principal ; mais parfois aussi, quand elle est trop dure ou peu homogène, il faut employer la poudre pour la faire sauter. Les morceaux ainsi obtenus sont découpés à leur tour, dépouillés de leurs aspérités, et débités, toujours par le même procédé, en pavés réguliers de différentes dimensions. Quant aux écoles résultant de la taille, elles sont rejetées en arrière, et forment parfois des amas considérables qui frappent désagréablement les regards et gâtent le paysage ; mais, sous l’influence des a gens atmosphériques, ces débris de roches finissent le plus souvent par se déliter, tomber en poussière, et former un sol sur lequel la végétation ne tarde pas à reprendre son empire. Au bout de peu de temps, les carrières abandonnées se couvrent de bruyères, puis d’arbrisseaux, en attendant que les arbres eux-mêmes trouvent une nourriture suffisante pour s’y installer et pour faire disparaître sous l’étreinte de leurs racines les dernières traces de ces exploitations.

Une fois débités, les pavés sont achetés sur place au maître carrier par des marchands qui les expédient dans les villes voisines, mais surtout à Paris, où il s’en fait une prodigieuse consommation depuis l’annexion de la banlieue. Il y a quelques années cependant que les pavés de la Belgique font sur le marché de la capitale une concurrence assez sérieuse à ceux de Fontainebleau pour en avoir fait tomber le prix de 250 francs le mille à 180 francs[1]. C’est

  1. Les produits qu’on tire des carrières se divisent en pavés d’échantillon, de 0m22 à 0m23 sur toutes les faces ; pavés bâtards, de dimensions irrégulières ; pavés panneaux ou de fantaisie ; pavés de deux, moitié du pavé d’échantillon. On fait aussi des bordures de trottoirs, des boutisses d’échantillon formant un pavé et demi d’échantillon, des coins, des tablettes pour caves, des marches d’escalier, etc. ; mais ces derniers articles ne s’adressent qu’à la consommation locale. Les pavés seuls font l’objet d’un commerce considérable. Mis en place dans les rues de Paris, chaque pavé revient à peu près à 1 franc, soit 1,000 francs le mille. On voit, en comparant ce chiffre avec le prix en forêt, tout ce qui est absorbé par les intermédiaires.