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souvent même de la manière la plus effrontée, tout ce qui pouvait confirmer ses lecteurs dans l’idée que le peuple juif était réellement imbu d’idées messianiques. C’est dans l’intérêt de ses compatriotes opprimés qu’il agit ainsi, sans même craindre d’appliquer à Vespasien, au grand scandale de la synagogue, qui l’excommunia, les oracles messianiques où les prophètes parlaient d’un grand dominateur qui devait venir d’Orient. Cela joint à bien d’autres causes fît que pendant longtemps les deux sociétés, païenne et chrétienne, vécurent côte à côte dans une attitude de répulsion invincible, entretenue par l’ignorance. Le bas peuple, toujours enclin à supposer des horreurs dans ce qui est nouveau et mystérieux en religion, s’imagina que les chrétiens commettaient dans leurs réunions des crimes inénarrables. On peut juger par la lettre de Pline à Trajan et par la réponse de cet empereur de l’étrange embarras dans lequel deux hommes fort distingués, humains d’inclination, mais foncièrement attachés aux institutions romaines, étaient plongés par la vue de cette société nouvelle, qu’il fallait évidemment supprimer et à qui pourtant on ne savait reprocher que son nom.

Cependant cette même correspondance prouve aussi que le christianisme était déjà puissant par le nombre de ses adhérens. Il paraît s’être propagé au Ier et au IIe siècle, entre les mépris d’en haut et les haines fanatiques d’en bas, parmi les classes moyennes, les artisans, les petits propriétaires, les négocians, les gens à vie sédentaire et retirée. Ce furent surtout sa beauté morale, ses consolations sublimes, son esprit de dignité et de liberté intérieure qui attirèrent cette partie la plus honnête de l’immense population païenne de l’empire. Au milieu de toutes les tristesses qui remplissaient le vieux monde, l’église fut un paradis terrestre où il y eut de nouveau du bonheur à vivre. Lorsque les platoniciens commencèrent à venir, elle gagna en eux des défenseurs capables, qui tâchèrent, dans leurs apologies, de calmer la fureur populaire et de changer en estime le dédain des classes supérieures. La théorie du Verbe leur fut surtout d’un grand secours en ce qu’elle leur permit de relever et d’expliquer à la fois ce que le paganisme renfermait lui-même de parcelles de la vérité divine. Par une conséquence immédiate, la philosophie païenne en vint à se relever de la condamnation absolue dont elle avait d’abord été frappée avec tout le reste. L’antagonisme n’était encore diminué en rien, et pourtant c’était un pas en avant de l’antithèse radicale des premiers temps : on cherchait à se comprendre, on commençait presque à s’apprécier.

Il y en a une preuve éclatante : les classes supérieures à leur tour se mettent à détester le christianisme avec furie. Elles le croient désormais digne d’être sérieusement discuté et combattu. Le fameux