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contre tout ce qui était païen : tout, disons-nous, car pour le Juif zélé, ce n’était pas seulement la religion des païens qui était abominable, c’était la société païenne tout entière, ses arts, ses institutions, ses fêtes, ses magistrats, son empereur. La distinction du spirituel et du temporel n’existait pas dans son esprit. L’empire romain dans son ensemble, cette puissance idolâtre qui opprimait le peuple des justes et marchait vers une ruine éclatante, était à ses yeux une création du diable. Et si les premiers chrétiens, mal vus de la majorité juive, eussent peut-être incliné à juger moins sévèrement la civilisation gréco-romaine, leur tendance judaïsante et surtout la persécution néronienne ne tardèrent pas à leur inspirer contre elle une horreur qui ne le cédait en rien au fanatisme de leurs aînés de Palestine. Nous en avons un témoin bien éloquent dans l’Apocalypse.

L’école de Tubingue a largement contribué, de concert avec d’autres critiques allemands, à élucider l’interprétation de ce livre étrange, dont les énigmatiques symboles se sont accommodés à tant d’explications intéressées. Elle a montré que ce livre fut un des plus populaires de la primitive église. Elle pouvait s’appuyer sur le fait, mis en lumière croissante depuis une cinquantaine d’années, que l’Apocalypse n’est pas un livre exceptionnel, mais un brillant spécimen de tout un genre littéraire dont les productions abondent avant et après elle, depuis le livre de Daniel, qui ouvre la série dans le IIe siècle avant notre ère, jusqu’au IVe siècle et même au-delà. Toutes ces apocalypses ou révélations, soit juives, soit chrétiennes, présentent entre elles de nombreuses analogies et s’expliquent l’une par l’autre. Leur but est toujours de montrer dans les événemens contemporains la symétrie interne qui les rattache à un plan divin qui gouverne l’histoire et permet de prévoir ce qui va bientôt arriver. Elles sont sous ce rapport autant d’essais primitifs de ce que nous entendons par l’histoire philosophique. Ordinairement elles prévoient la fin prochaine du monde, la punition terrible des impies, le triomphe éclatant des justes, la venue ou le retour glorieux du Messie. L’œuvre singulière qui porte le nom d’Apocalypse fixe la fin de l’ordre de choses dans lequel vivent l’auteur et les lecteurs à trois ans et demi après le moment où elle est écrite. Alors Jésus reviendra pour mettre fin à la sanglante domination de l’Antéchrist et faire régner les siens avec lui sur le monde renouvelé. L’Antéchrist a déjà paru : c’est Néron en personne, dont le nom est mystérieusement désigné (XIII, 18) par le chiffre 666, que l’on obtient en additionnant selon leur valeur numérique les lettres qui forment en hébreu les mots César Néron, et que d’autres indices font évidemment découvrir sous les traits de la bête monstrueuse qui veut se faire adorer à la place de Dieu. La prophétie de Pathmos porte donc sa date avec