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ses principaux articles. Un recueil apocryphe, aujourd’hui perdu, intitulé, la Prédication de Paul, contenait ce curieux fragment qui nous a été conservé dans les œuvres de Cyprien : « Après avoir confronté leur évangile à Jérusalem, s’être exposé leurs idées, avoir contesté vivement et avoir dressé leurs plans séparés, Pierre et Paul se rencontrèrent enfin dans Rome, comme s’ils se fussent connus pour la première fois[1]. » La formule solennelle usitée encore aujourd’hui dans les déclarations du saint-siège qui se font au nom des « bienheureux saint Pierre et saint Paul » est le monument traditionnel de cette conciliation des contraires, en même temps que la primauté constamment déférée au premier atteste la victoire antérieure du point de vue et du parti judéo-chrétien. C’est dans le dernier tiers du second siècle que la fusion parvint à l’état de fait accompli. Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie témoignent encore indirectement de la division antérieure, mais sans s’en douter eux-mêmes. L’ancienne église catholique est formée.


IV

On le voit, c’est l’intérêt universaliste qui finit par dominer tous les autres ; c’est lui aussi, c’est la tendance inhérente à l’église chrétienne de devenir ce qu’elle doit être pour accomplir sa mission, qui suscite les nouveaux conflits et les nouveaux phénomènes neutralisant les oppositions antérieures. Monothéiste et en possession d’une morale universaliste, le christianisme attirait à lui l’homme dans toute la généralité du mot ; mais enfin l’homme réel du temps n’était pas indéterminé au point qu’il fût inutile de compter avec ses besoins spéciaux et son état d’esprit. Deux grandes puissances, nous le savons, se partageaient le monde, la Grèce et Rome. La Grèce régnait sur les intelligences, Rome gouvernait. Pour conquérir le monde grec, il fallait au christianisme une métaphysique ; pour attirer le monde romain, il lui fallait une organisation stable et de l’unité. L’évangile de Jean répondit à la première de ces exigences, l’épiscopat aux deux autres.

L’évangile johannique appartient au mouvement général du second siècle, qui poussait l’église primitive au-delà de ses premières controverses. Ce qui caractérise, entre autres traits fort marquans, ce livre admirable, c’est qu’il ne connaît plus rien des passions qui ont agité la génération précédente. Les Juifs, leur loi, leur sort, comme peuple, sont, pour l’auteur, des choses parfaitement indifférentes.

  1. Ce fragment se trouve dans le traité de Rebaptismate, ordinairement annexé aux œuvres de Cyprien.