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cinq préceptes assez simples, dits noachiques, parce qu’ils avaient été, disait-on, imposés aux pères du genre humain sortis de l’arche avec Noé. Pierre, dans la tradition ecclésiastique, avait pris la place de Paul comme apôtre des gentils ; mais cette substitution même, facilitée par l’habitude si commune alors de désigner les partis et les tendances par le nom propre de celui qu’on reconnaissait pour leur chef ou leur type, prouvait l’importance qu’avait acquise l’universalisme aux yeux de ceux-là mêmes qui avaient d’abord agi comme s’ils eussent voulu s’opposer à son essor, ainsi que l’existence de notions plus saines sur les conditions impérieuses de sa réalisation. On parlait de plus en plus d’une nouvelle loi succédant à l’ancienne. Le point de vue légal subsistait donc, c’est-à-dire qu’on ne se convertissait pas à la vraie doctrine paulinienne de la justification par la foi ; mais il s’accommodait si bien à la situation du monde païen, que la différence pratique entre les deux théories, à force de s’amincir, avait fini par devenir imperceptible.

La mémoire de Paul devait donc remonter peu à peu sur l’horizon. Après tout, son souvenir avait dû se conserver dans quelques cœurs d’élite. On ne pouvait lui ravir entièrement la gloire d’avoir fondé le christianisme parmi les païens, et ses épîtres, bien que médiocrement comprises, n’offraient plus les mêmes sujets de scandale que dans les premiers temps. On vit enfin surgir un troisième parti, et celui-là devait rester le dernier sur l’arène : c’était un parti universaliste par excellence, positif, organisateur, pratique, dont la conciliation était le mot d’ordre, et qui trouva un livre fait tout exprès pour lui dans les Actes des Apôtres. Cet ouvrage en effet est presque tout entier consacré à un parallèle entre Pierre et Paul, rédigé de telle façon que les deux apôtres soient d’accord sur toutes les questions qui les divisaient de leur vivant. L’intention irénique, pacifiante, de ce livre, sur la valeur historique duquel la critique de Tubingue est peut-être trop négative, est un des élémens les mieux démontrés de la théorie tout entière. Comme pendant à cet écrit, émané d’une plume au fond paulinienne, on peut citer l’épître bien moins ancienne que l’on a longtemps regardée comme la seconde de Pierre. Là, c’est un partisan de ce dernier qui accorde pour ainsi dire à Paul un brevet d’orthodoxie, l’appelant frère et recommandant la lecture de ses lettres. Ce mouvement fut général et à peu près simultané. En Syrie seulement, dans la région de Pella, où beaucoup de Juifs chrétiens avaient cherché un refuge lors de l’invasion de la Palestine par les Romains, la vieille orthodoxie parvint à se maintenir dans un certain nombre de communautés nazaréennes ou ébionites (pauvres). Dépassée par l’élan qui emportait l’église universelle dans le sens de l’avenir et du progrès, elle fut alors regardée comme une hérésie. Au ive siècle, Épiphane et Jérôme trouvèrent