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C’est l’homme en effet, l’homme dans toute la généralité de ce mot, qui se lève aux premiers siècles de notre ère sur les débris des nationalités. Et faut-il donc indiquer ici le terrible marteau qui les a pulvérisées ? Rome a tué partout la patrie. Courbés sous le même joug, les peuples ne peuvent plus s’opposer le dédain superbe qui les séparait autrefois en autant de mondes à part. Il n’a pas moins fallu que cette universelle humiliation pour maintenir si longtemps l’empire romain malgré tout ce qui aurait dû le dissoudre. Des nationalités opprimées se révoltent à la longue ; mais encore faut-il que le feu de l’esprit national couve sous les cendres de la liberté perdue, et ce feu était éteint partout, excepté chez les Juifs et les Romains proprement dits. C’était encore une grande chose alors que de pouvoir s’écrier : civis romanus ! Et pourtant, juste punition de la tyrannie romaine, la politique impériale se voyait forcée de répandre de plus en plus ce titre glorieux parmi les peuples vaincus, et l’on voyait déjà poindre le jour où le droit de cité romaine, étant accordé à tous, n’appartiendrait plus à personne. Heureusement l’homme restait, et c’était assez, c’était tout.

Quant au judaïsme, par sa grande idée monothéiste, il pouvait prétendre à l’universalité ; mais par son culte, par sa loi, il ne le pouvait pas et n’était qu’une religion nationale comme les autres. Cependant le judaïsme commençait aussi à s’ouvrir à l’esprit du temps nouveau. Déjà le judaïsme alexandrin, sous le manteau complaisant de l’allégorie, avait éprouvé le besoin de concilier Moïse et Platon. Les thérapeutes avaient leurs analogues et peut-être leurs imitateurs chez les esséniens de Palestine, et bien qu’il faille rejeter au nombre des hypothèses les plus creuses celle qui voit dans le christianisme un enfant de l’essénisme, bien qu’il n’y ait rien de commun entre l’esprit monacal, formaliste, ésotérique des cénobites de la Mer-Morte et le spiritualisme plein d’initiative et de largeur, ouvert à tous, démocratique dans le meilleur sens du mot, de l’Évangile primitif, il faut reconnaître que, par la pureté de sa morale, l’essénisme, dont l’influence était alors répandue dans les diverses classes de la société juive, faisait en Judée ce que la philosophie faisait en Europe : il ramenait l’homme à lui-même et élevait la question morale au premier rang.

Le christianisme naissant se montre donc à nous comme l’unité naturelle vers laquelle convergent les lignes supérieures du monde contemporain de son origine. Ses amis et ses adversaires se sont donné bien de la peine, ceux-ci pour fouiller dans les annales des religions et des philosophies antiques, afin de prouver qu’il n’a rien appris de nouveau à l’humanité, et que ses plus beaux préceptes, ses enseignemens les plus élevés étaient déjà formulés dans les