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des plus acharnées par le plus irascible et le plus rationaliste des théologiens allemands de l’heure actuelle, le savant auteur de l’Histoire du Peuple d’Israël, M. Ewald, qui le traitait d’anti-chrétien et ne l’appelait plus que « le Baur de Tubingue » (der Tübingische Baur), avec plus de modération par MM. Lücke, Weitzel, Lechler, Ulhorn, enfin par notre éminent compatriote, M. le professeur Reuss de Strasbourg, et par le spirituel M. Karl Hase d’Iéna. Baur lut tout, fit son profit de tout, et, sans abandonner son point de vue, il vécut précisément assez pour élaborer lui-même une exposition définitive de ses idées sur les origines et l’histoire de l’église chrétienne, exposition contenue dans les trois volumes qui vont surtout nous occuper, et qui parurent successivement. Il mourut au moment où il venait de terminer le manuscrit du dernier[1].

C’est à ces trois volumes que nous renverrions les personnes effrayées du catalogue que nous venons de dérouler et qui voudraient sans trop de peine connaître l’homme et ses idées. Le style est d’une beauté sévère. Les expressions hégéliennes, dont nous avons dit un mot, auxquelles au surplus il faut s’habituer, si l’on veut lire des ouvrages de science allemande, ne réussissent pas à l’obscurcir. D’une égalité soutenue, d’une simplicité austère, il est opulent à force de pensée. Toute réserve faite sur les opinions de l’auteur, il faut admirer cette manière ample, magistrale, de traiter l’histoire et d’en fouiller les arcanes pour en faire ressortir les lois immuables et nous initier à la vie intime des générations disparues, ce qui est le grand art. Baur excelle en particulier à reconstituer toute une situation au moyen de documens obscurs, incomplets, échappés au cataclysme du moyen âge, à peu près comme le paléontologiste reconstruit de pied en cap un animal dont il ne reste que quelques os. Les deux premiers siècles de l’église chrétienne, si confus, si obscurs jusqu’à ces derniers temps, nous apparaissent désormais avec tous leurs reliefs, leurs contrastes, avec une physionomie générale à laquelle il n’y a plus guère rien à changer. On en jugera par le résumé que nous essaierons de faire de cette grande théorie historique ; disons toutefois d’abord en quel état l’école de Tubingue a trouvé le problème qu’elle a voulu résoudre, et d’après quels principes elle a procédé.

La théologie catholique et l’ancienne théologie protestante ne différaient pas en principe, autant qu’on l’aurait pu croire, quant à la manière de se représenter les origines du christianisme. Pour

  1. Depuis que ces lignes sont écrites, le savant M. Zeller, gendre de Baur, a publié, en se servant des manuscrits laissés par le vieux professeur, une Histoire de l’Église au dix-neuvième siècle, des plus remarquables, et nous promet l’apparition prochaine d’un dernier volume consacré à la réforme et aux trois derniers siècles.