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réactifs neutralisant de toute espèce que la politique religieuse ou, si l’on veut, la religion politique née dès terreurs de 1848 s’ingénie à lui appliquer, remue à l’heure qu’il est l’Allemagne théologique d’un bout à l’autre, sans parler des autres pays. Qu’on laisse souffler un peu ce vent libéral qui recommence à fraîchir, et l’on verra si cette école est morte, comme l’affirmaient naguère ceux qui tâchaient de l’étouffer.

C’est à dessein que je parle de levain, car ce serait faire tort aux savans éminens dont j’ai cité les noms que de les présenter comme des copistes servîtes des théories de Baur. de M. Ritschl, qui se rapproche le plus du point de vue traditionnel sur l’histoire de l’église primitive, à M. Zeller par exemple ou à M. Volkmar, les nuances sont fort nombreuses. À mon sens, c’est l’honneur d’une école religieuse, c’est une garantie de son avenir que de ne pas coucher ses adhérens sur un lit de Procuste, et cette variété de vues dans une même tendance est d’autant plus facile à concevoir que Baur lui-même ; comme nous l’avons déjà indiqué, revint plus d’une fois sur ses propres allégations pour donner raison à ses critiquée.

Parler de quelques-uns de ses plus importans ouvrages, ce sera donner une première idée du genre de recherches auxquelles il a voué sa vie. Il fit paraître en 1831 une étude approfondie du manichéisme[1], qui dénotait une érudition immense, un esprit spéculatif et hardi, trop enclin peut-être à ces combinaisons paradoxales, à ces rapprochemens plus ingénieux que solides dont à cette époque Creuzer, Hegel, Schelling et leurs disciples étaient si prodigues en matière d’histoire religieuse. En 1832, sa manière était déjà plus sévère, plus rigoureusement scientifique : il publia cette année-là Un traité sur les rapports entre l’histoire de Jésus et celle de cet Apollonius de Thyane, ce Christ païen dont, au IIIe siècle de notre ère, Philostrate composa la romanesque histoire comme un antidote contre le prestige toujours grandissant du Christ des Évangiles[2]. Il entrait en plein par là dans l’un des problèmes capitaux qu’il s’était posés, celui des causes réelles, logiquement déduites au point de vue de la philosophie de l’histoire, de la lutte du paganisme et du christianisme, et de la victoire éclatante du second. En 1835 paraissait son ouvrage sur le gnosticisme des premiers siècles[3], cette étrange et grandiose débauche de la spéculation religieuse, où le burlesque et le sublime se coudoient, et dont il faut pénétrer les hiéroglyphes, si l’on veut avoir le mot de la situation réelle d’une époque où le chaos des esprits enfantait un nouveau monde. À cette étude, il faut

  1. Das Manichœische Religions-System.
  2. Apollonius von Thyana und Christus.
  3. Die Christliche Gnosis.