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au commencement de juillet 1862. Il eut de nombreuses conférences avec les membres du conseil d’état, et retourna à Kioto après avoir obtenu la promesse formelle que, dans le délai d’une année, le taïkoun se rendrait auprès du mikado.

Sans attendre le résultat de cette visite, on peut déjà, d’après les faits qui viennent d’être exposés, reconnaître que si l’entrevue du taïkoun et du mikado doit exercer une grande influence survies affaires du Japon, elle ne tranchera cependant pas toutes les difficultés. Le taïkoun est en effet trop puissant pour abdiquer volontairement un pouvoir que lui et ses ancêtres ont exercé pendant plus de deux siècles ; le mikado de son côté ne laissera pas échapper sans une lutte opiniâtre l’occasion qui s’offre à lui de ressaisir la puissance dont sa famille a été dépossédée depuis le temps de Taïkosama. Un fait reste acquis néanmoins : c’est que les difficultés actuelles du Japon tourneront à l’avantage de l’Europe. Quel que soit le maître que les éventualités de cette lutte donneront au Japon, il devra se mettre résolument à la tête du parti qui veut assurer par une politique nouvelle le progrès de l’empire. L’élément étranger qui a pénétré au Japon ne pourra plus en être expulsé. Qu’il le veuille ou non, le gouvernement japonais devra rester en relations avec les Occidentaux, et de ces relations naîtra inévitablement une situation meilleure. Ce que l’amour des conquêtes a fait dans les temps primitifs des sociétés humaines, ce qu’a su faire aussi l’amour de la foi au moyen âge, c’est le commerce qui le fait aujourd’hui. Principal agent civilisateur des temps modernes, il procède d’une manière différente que n’ont fait à d’autres époques l’orgueil national et la croyance religieuse ; mais il tend au même but. Si la dévorante activité de nos marchands n’excite pas toujours les mêmes sympathies que l’héroïsme des guerriers et le dévouement des apôtres, ces hommes n’en servent pas moins avec une ardeur intelligente et féconde la cause de la civilisation occidentale ; ils vont répandre au loin la lumière dont leur patrie est le foyer ; ils portent l’influence du travail européen dans les contrées les plus éloignées ; les plus barbares, et peut-être la meilleure garantie de vitalité qu’offre en ce moment la société japonaise est-elle dans la présence des commerçans européens parmi elle, dans la part de plus en plus grande qu’elle-même sait faire aux idées et aux tentatives venues de l’Occident.


RODOLPHE LINDAU.