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ministres étrangers résidant à Yédo. Après l’assassinat de M. Heusken, MM. Alcock et du Chesne de Bellecourt avaient manifesté leur indignation en termes trop énergiques pour se contenter d’une simple protestation en présence d’une insulte nouvelle et beaucoup plus grave. Ils résolurent donc d’opposer, en cas de besoin, la force à la violence, et s’entourèrent de corps de garde anglais et français. Cette démonstration leur donna une certaine sécurité personnelle, mais fournit en même temps la preuve évidente qu’ils n’avaient point réussi à établir avec le gouvernement japonais des relations vraiment amicales. À qui était la faute, à ce gouvernement ou aux envoyés européens ? Tous ceux qui avaient quelque intérêt à résoudre cette question s’en préoccupèrent assez longuement, et leurs investigations finirent par amener un résultat tout à fait imprévu. Elles prouvèrent que le gouvernement avec lequel les étrangers avaient traité jusqu’alors n’était pas le véritable gouvernement du Japon, que la cour de Yédo ne pouvait prendre des engagemens au nom de l’empire, enfin que le taïkoun, en concluant des traités avec les nations occidentales, en usurpant ainsi le pouvoir du maître suprême, s’était placé dans une situation illégale, et qu’il n’avait ni la force ni le droit d’accomplir les promesses faites aux alliés. C’est dans l’erreur où nous étions relativement à la puissance du taïkoun qu’il faut voir le germe de toutes nos difficultés avec le Japon. Il est nécessaire ici de compléter par quelques détails les observations générales que nous avons déjà faites sur le gouvernement japonais, et de donner ainsi à cette étude sa conclusion véritable.


Le mikado est l’empereur légitime du Japon. Le chiogoun ou le taïkoun, comme l’appellent plus communément les étrangers, n’est qu’un de ses grands dignitaires ; il occupe la position d’un maire du palais, chargé de l’administration de l’empire, sans avoir en aucune façon le pouvoir législatif. Quoique sa puissance réelle soit plus grande que celle du mikado, il se trouve cependant placé, dans la hiérarchie politique, non-seulement au-dessous de lui, mais encore au-dessous de plusieurs hauts fonctionnaires que le mikado a le droit de nommer, et même au-dessous des dix-huit grands daïmios ou pairs du Japon. Si les taïkouns n’en sont pas moins restés, pendant des siècles, tranquilles possesseurs d’un pouvoir qui devait inévitablement susciter contre eux des jalousies et des haines, il faut chercher l’explication de ce curieux état de choses dans les lois par lesquelles Hieas, le fondateur de la dynastie actuelle, avait lié sa cause à celle des divers princes japonais, en subordonnant la position et l’indépendance des daïmios à la position et à l’indépendance du taïkoun. Les dix-huit grands daïmios sont en effet des usurpateurs