Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/1002

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

flûte. En fait de flûte, il n’y a rien de supérieur au talent de M. Dorus et à celui des élèves qu’il forme avec tant de sollicitude. Dans une de ces bonnes maisons de Paris où un maître intelligent comme le docteur Mandl parvient à grouper autour de lui les hommes les plus distingués et à réunir dans un harmonieux ensemble les sciences et les arts, M. Dorus et son élève M. Taffanel ont exécuté avec une rare perfection un duo pour deux flûtes de ce même Doppler dont j’ai déjà parlé. C’était un charme que d’entendre d’adorables caprices tracés par la main d’un compositeur vraiment original et rendus par deux virtuoses aussi modestes qu’habiles, qui ne cherchent à tirer de leur instrument que des effets naturels. Deux autres artistes, M. Triébert, le hautboïste, et M. Jancourt, un basson, ont exécuté ensuite avec beaucoup de grâce un joli duo sur des motifs de l’Italiana in Algieri de Rossini. En général on ne saurait trop admirer, trop louer cette classe d’artistes consommés qui composent les orchestres du Conservatoire, de l’Opéra, de l’Opéra-Comique, ces hommes laborieux et honorables qui consacrent leur vie modeste à cultiver et à répandre les principes d’un art civilisateur. Dans aucun pays, cette classe de musiciens, d’exécutans et de professeurs n’est plus respectable qu’à Paris. C’est aux efforts, à l’enseignement éclairé de ces artistes sérieux, qui pénètrent dans toutes les familles, qu’on doit une partie des progrès considérables qu’a faits la musique en France. Ce sont leurs conseils qui ont épuré le goût de la bourgeoisie et qui lui ont fait comprendre la différence qui existe entre les fantaisies creuses et futiles de la plupart des artistes français et les compositions des maîtres. Jamais dans un salon comme celui de M. Mandl on ne permettrait à un faiseur de points d’orgue comme il y en a tant de venir occuper l’attention d’une réunion de personnes distinguées qui savent apprécier les mouvemens de l’art.

Il existe depuis plusieurs années une Société nationale des beaux-arts dont le siège est sur le boulevard des Italiens. Le but que se proposa d’abord cette société fut d’exposer, pendant toute l’année, des tableaux et des objets d’art de toutes les époques et de tous les maîtres, morts ou vivans. Le comité conçut bientôt l’idée de joindre la musique au faisceau des arts plastiques et d’organiser des concerts où l’on exécuterait particulièrement des œuvres de compositeurs modernes ou inconnus. Quatre concerts ont été donnés cet hiver dans la salle du boulevard des Italiens, qui est peu favorable aux effets de la musique. Les trois premières séances ont été consacrées au Désert et au Christophe Colomb de M. Félicien David. Au quatrième concert, qui a eu lieu le 8 février, on a exécuté une jolie symphonie de M. Félicien David, qui est connue, puis une cantate dramatique, Vercingétorix, dont le poème et la musique sont de M. Debillemont. Cette composition bizarre, qui renferme des récitatifs, des chœurs, des airs et une marche militaire, est un mélodrame manqué écrit avec une énorme prétention. J’y ai remarqué un passage où les voix de femmes font un miaulement qui semble reproduire l’effet du genre enharmonique de la musique