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et du bruit, de la lumière et beaucoup de fumée, de la fougue et d’interminables longueurs. Tel qu’il est, M. Litolff n’est pas un artiste vulgaire, c’est un homme curieux et intéressant dont la vie, le talent et la physionomie ont quelque chose de fantastique qui rappelle certains types d’Hoffmann. Mme Graever, son élève, est une femme agréable et une pianiste de talent dont le style serait plus pur, si elle interprétait de meilleure musique.

Nous avons déjà parlé de M. Jean Becker, ce violoniste génial, comme diraient les Allemands, qui a produit une si vive impression cet hiver à Paris. Né à Manheim et à peine âgé de trente ans, je crois, M. Becker est venu nous visiter pour la première fois en 1860. J’eus alors le plaisir d’apprécier son talent, déjà fort remarquable, et de signaler son nom à l’attention des amateurs. Depuis, M. Becker a beaucoup voyagé, beaucoup étudié et beaucoup appris. M. Becker est un violoniste savant, un érudit ému et sensible, qui a feuilleté la musique de toutes les époques et qui s’est familiarisé avec le style de tous les maîtres. Dans les trois concerts que M. Becker a donnés à la salle de M. Herz avec le concours de M. de Hartog, un riche amateur hollandais, il a exécuté tour à tour une chaconne de Bach d’une horrible difficulté, l’allegro et l’adagio du quatrième concerto de violon de Spohr, des morceaux de Leclair, de Gaviniez, l’adagio et le rondo du troisième concerto de M. de Bériot, une polonaise d’Habeneck et d’autres compositions de maîtres italiens, allemands et français. Ces formes si variées et si différentes les unes des autres ont été rendues par M. Becker avec une bravoure, une justesse d’intonation, Une aisance et une propriété de style vraiment merveilleuses. M. Becker est un artiste original et classique tout à la fois ; il réunit la bravoure d’un virtuose habile à l’imagination d’un poète : aussi son succès a-t-il été éclatant et incontesté, et tout annonce que M. Becker sera bientôt classé parmi les deux ou trois grands violonistes de l’Europe.

Nous devons mentionner aussi M. Dumon, flûtiste belge de beaucoup de talent et professeur au Conservatoire de Bruxelles. Jeune et de belle humeur, M. Dumon a donné un concert dans la salle de M. Herz le 14 février, où il a exécuté d’abord, avec Mme Pleyel, le duo pour piano et flûte de Weber ; puis le virtuose a rendu avec beaucoup de grâce et même de sentiment des airs valaques d’un musicien polonais, François Doppler, qui a composé des opéras et beaucoup de musique pour la flûte, qui était son instrument. M. Dumon a terminé la séance par un nocturne et une fantaisie sur un air national de ce même Doppler, et il a rendu les beautés mélodiques de ces différens morceaux avec un brio étonnant. C’est un véritable artiste que M. Dumon, qui n’a qu’un défaut, mais il est considérable : il passionne la flûte, il cherche à produire des effets dramatiques sur un instrument candide, qui n’est fait que pour soupirer l’amour. Pourquoi M. Dumon n’a-t-il pas choisi un autre instrument, le trombonne par exemple ? Il aurait pu devenir aussi fort que M. Narbich, un Allemand de la vieille roche, qui roucoule sur son tuyau de cuivre plus tendrement que M. Dumon sur sa