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de Mendeissohn. Mme Szarvady, qui a du sang slave dans les veines, interprète la musique de Chopin comme sa langue maternelle.

C’est au chapitre des pianistes, qui sont aussi nombreux que les sables de la mer, que se rattache le concert qui a été donné par Mme Oscar Commettant dans la salle de Herz le 30 avril. Après la première partie du programme, où la jolie bénéficiaire a chanté la cavatine de Semiramide de Rossini avec une bravoure solide et brillante, il y a eu une espèce de carrousel où six pianistes sont venus exécuter une fantaisie colossale composée par Thalberg, Listz, Pixis, Czerny, Henri Herz, Chopin, et arrangée pour six pianos concertans par M. Henri Herz. Cela s’appelle l’Hexaméron, ce qui prouve que les musiciens connaissent leurs ancêtres. La variation de M. Henri Herz a été exécutée par l’auteur lui-même avec le brio et la jeunesse de style propres à ce virtuose émérite, qu’on pourrait surnommer l’Auber du piano. J’avoue cependant que je préfère la variation de Chopin, jouée avec un vrai talent par M. Ravina.

Un des incidens les plus curieux de la saison, c’est l’apparition de M. Litolff, qui a donné deux concerts dans le grand salon de l’hôtel du Louvre, avec le concours de Mme Graever, pianiste distinguée, qui a été son élève. Je pense que le nom de M. Litolff n’est pas inconnu aux lecteurs de la Revue, car j’ai eu l’occasion de parler de cet artiste intéressant, lorsqu’il vint se produire à Paris comme pianiste et compositeur en 1858. Depuis, M. Litolff a beaucoup voyagé, et, après de nouvelles vicissitudes dont le récit formerait un roman des plus piquans, il est venu s’établir dans un village aux environs de Fontainebleau. Aux deux soirées qu’il a données cette année avec un orchestre nombreux qu’il conduisait lui-même, il a fait entendre d’abord un concerto symphonique que nous avons apprécié ici dans le temps, et dont les parties saillantes sont un andante religioso et le scherzo, qui serait un morceau fort original, s’il était moins long, moins tourmenté, moins chargé de modulations violentes et de sonorités criardes. On a exécuté ensuite deux symphonies dramatiques, l’une intitulée les Guelfes, illustration d’un poème allemand, et l’autre les Girondins, préface ou plutôt introduction à un drame de ce nom qui se joue au-delà du Rhin. Dans ces deux compositions bizarres, remplies de bruits, d’éclairs, de fumée et de quelques effets puissans de sonorité, l’auteur a fait preuve d’une imagination hardie et presque désordonnée qui ose tout et ne recule devant aucune témérité. Ces symphonies ressemblent à des fresques grossières, dessinées et peintes à grands traits, où le musicien a voulu rendre et exprimer par des sons et des rhythmes les épisodes d’une grande bataille, les vicissitudes de la mort des girondins au milieu de la révolution française. M. Litolff est un poète musicien de la nouvelle école allemande, un romantique décidé, un réaliste tempéré de fantaisie, qui poursuit avant tout l’effet matériel et pittoresque, mêlant dans un ensemble troublé le rire aux larmes, le sentiment au burlesque le plus bas. Il y a de tout dans l’œuvre de M. Litolff, des idées