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que l’électorat était une fonction dont la société investissait les citoyens qu’elle jugeait les plus dignes, tandis que les autres revendiquaient la faculté d’élire les représentans comme le droit naturel de tout citoyen libre et comme l’apanage indispensable de la souveraineté populaire. La fiction qui faisait du droit électoral une fonction, qui voulait voir dans l’électeur un fonctionnaire, a toujours été à nos yeux un curieux artifice de l’esprit de sophisme. On ne saurait toutefois reprocher aux sectateurs, de ce système d’avoir manqué de logique et d’avoir cyniquement désavoué leurs principes, lorsqu’ils plaçaient l’électeur, ce fonctionnaire d’un jour, sous l’action directe des fonctionnaires véritables, de ceux qui sont tous les jours les agens du pouvoir. Une discussion semblable sur la nature de l’électorat serait bien oiseuse aujourd’hui. Dans la constitution de 1852, le suffrage électoral est le droit de tous, et le suffrage universel est la source de tous les droits politiques. Le suffrage universel équivaut à la souveraineté populaire, dont il est l’expression et la sanction. La question est de savoir si dans notre constitution le suffrage universel ne figure que comme une abstraction, un mot, une enseigne, ou s’il en doit être au contraire le principe vivifiant et régulateur. Pour les esprits de bonne foi, un pareil doute ne saurait exister. Une constitution perdrait toute autorité sur les consciences, si elle n’était point une œuvre de sincérité. Or c’est ici qu’apparaît sous sa forme la plus singulière le danger pratique de l’immixtion des agens du pouvoir dans les élections.

Le suffrage universel étant la forme de la souveraineté nationale, chaque citoyen, au moment où il agit comme électeur, participe à cette souveraineté, est une portion intégrante du souverain ; mais dans le même citoyen qui, agissant en électeur, est souverain, il y a un autre homme, l’homme de tous les jours, celui qui, dans ses rapports ordinaires avec le pouvoir exécutif et ses représentans, n’est qu’un administré. Le suffrage universel sera-t-il, comme le roi constitutionnel d’autrefois, un souverain fait pour régner et non pour gouverner ? Bien des attributs nécessaires de la souveraineté manquent encore à l’électeur souverain de notre constitution. L’essence de la souveraineté est la liberté ; la liberté fait défaut de bien des façons à l’universalité de nos électeurs : ces souverains n’ont pas la liberté de fonder un journal, ils n’ont pas la liberté de se réunir, ils n’ont pas la liberté de s’associer. Ils n’ont pas en un mot les libertés qui constituent les moyens d’organisation et de concert nécessaires pour produire ces opinions collectives qui sont la conscience même de la souveraineté nationale. Ce sont sans contredit des souverains bien gênés et bien empêchés ; mais, en dépit des obstacles qu’ils rencontrent de toutes parts, la plénitude de leur droit n’en subsisté pas moins tout entière. En vertu du pacte constitutionnel, le jour des élections ils sont souverains. Or, en leur désignant des candidats, en mettant au service de ces candidats toutes les forces administratives, en s’efforçant d’agir sur les électeurs par le préfet, par le maire, par le commissaire