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l’usage plus que pour la grâce ; ses pieds sont larges, ses rotules massives, et pourtant, en somme, c’est un splendide échantillon des créatures de Dieu. »


Tels sont ces memoranda, ces croquis à la plume que je trace à la hâte, sous le coup de quelque impression fortement sentie, mais fugitive, et dont je ne voudrais pas perdre absolument le bénéfice. En les relisant le soir, pendant les heures forcément oisives, je les rapproché, je les coordonne, et j’en déduis des formules, des règles dont les peintres venus après moi dans les highlands pourront vérifier l’exactitude.

J’estime qu’il y aurait profit pour l’art et les artistes à ce que quelques-uns de ces derniers, dans chaque génération successive, consentissent à prendre la plume. Loin de moi la pensée de leur confier exclusivement la critique d’art. Sans parler des rivalités qui fausseraient leurs appréciations, il y a chez eux trop de personnalité sincère, et le tempérament individuel joue un trop grand rôle dans ces organisations à part, pour laisser au jugement la froide équité, le complet désintéressement, qui lui assurent à la longue son autorité sur l’opinion publique. La critique d’art devrait être, et sera un jour, il faut l’espérer, une des branches de la littérature. Les écrivains qui s’y consacreront y seront préparés par une éducation spéciale. Ils auront fait au moins l’apprentissage de l’art sur lequel ils exerceront leur droit de haute et basse justice. Ils auront dessiné la figure et disséqué le cadavre. S’il s’agit de paysages, ils auront vécu au milieu des sites les plus pittoresques et rempli leurs portefeuilles de croquis comme ceux dont j’ai voulu donner une idée. Enfin, après avoir reçu l’enseignement des montagnes, des forêts, des grands lacs et de la nier, et visité en dernier ressort les plus riches galeries de l’Europe, il leur sera loisible de parler peinture avec quelque compétence. Tout naturellement ils devront être en état d’exprimer correctement leurs idées ; mais ils ne seront pas critiques parce qu’ils savent écrire. Ils écriront, tout au contraire, parce qu’ils auront acquis les qualités du critique, ce qui est tout différent.

Quant aux peintres-écrivains, ils seront tenus de mettre l’orthographe, ce qui manque à beaucoup et des plus illustres, ainsi que l’a constaté M. Ruskin en parlant de Turner. À l’orthographe nos peintres-écrivains pourront, sans déshonneur, joindre la correction grammaticale. Il n’est pas prouvé que le plus grand artiste du monde perde quelque chose à se trouver sous ce rapport au niveau d’un écolier de douze ans. Ces deux conditions réalisées, que de documens précieux pourraient être fournis par les maîtres ! Quelle