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la nuit ou de la matinée. Avant d’avoir aucune notion bien précise de l’attaque dont je semblais être menacé, j’avais déjà saisi mon revolver, chargé d’avance et toujours à portée de ma main. La minute d’après, tout à fait réveillé, j’étais sur mon séant et j’écoutais la plus complète bordée d’injures et de provocations qu’un homme puisse adresser à un autre homme. À ces invectives furibondes et dont pas un seul mot ne saurait être reproduit ici, je n’avais garde de répondre. Le revolver au poing, l’œil du côté de la porte, j’attendais que mon agresseur inconnu se permît d’y porter la main pour lui expédier une balle qui l’eût fort bien atteint à travers une si frêle barrière. Du reste je prévoyais une pierre par la fenêtre plutôt qu’une attaque directe contre la porte ; mais dans l’un ou l’autre cas, à moins que la pierre ne me mît hors de combat, je me tenais pour certain de blesser mon antagoniste avec l’une des cinq balles dont je pouvais disposer en sa faveur. Il semblait au courant de mes dispositions, et traduisait assez fidèlement mon silence : « Tire donc ! tire !… » répétait-il à chaque instant ; d’où je pouvais conclure qu’il voulait n’avoir plus à craindre mes armes à feu quand il entreprendrait d’entrer chez moi sans permission. Aussi me tenais-je coi, me consolant de mon inaction par la pensée des embarras auxquels je serais en butte le lendemain matin, s’il fallait expliquer à tout le pays la présence d’un cadavre gisant au seuil de ma porte. Qui ne connaît la stupidité proverbiale des jurys, et qui voudrait de gaîté de cœur affronter les dix mille plumes qui alimentent de faits divers les nombreux organes de la presse anglaise ?

Tout à coup le torrent de menaces s’arrêta court, les anathèmes cessèrent ; les hurlemens effrayans, les rires de démon, les clameurs aiguës qui se succédaient depuis plusieurs minutes furent à la fois interrompus. Un ou deux cris de plus en plus lointains, de plus en plus faibles, m’arrivèrent du fond des bruyères ; puis tout se tut. Cet apaisement subit m’ayant laissé quelques soupçons, je prêtais une oreille attentive au moindre bruit qui pût m’indiquer une attaque moins tumultueuse, mais plus à craindre. Bientôt, las de faire ainsi le guet, je remis mon revolver dans sa boîte, que j’eus soin de laisser ouverte, et je ne tardai pas à me rendormir. La même voix, plus tard, vint encore interrompre mon sommeil ; mais cette fois il faisait jour. Les malédictions en elles-mêmes n’avaient pas de quoi me toucher beaucoup, et, certain désormais d’avoir affaire à un lâche qui ne m’attaquerait pas avant que j’eusse vidé les canons de mon revolver, je pris un livre pour tâcher de me distraire. Quand cet homme s’éloigna définitivement, le coq avait chanté, le soleil commençait à rayonner. Au bout du compte, il n’y avait rien là-dessous qu’une visite de quelque chasseur de nuit.